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rois ou de pères bergers, » mais, que ce soit de la peste ou de quelque autre maladie, jeune ou vieux, homme ou femme, dans notre lit ou sur une grande route, nous mourons tous de la même manière. Ou, en d’autres termes encore, quelque différence qu’il y ait dans les conditions des hommes, et par quelque côté que la Mort nous assaille, il y a toujours en elle quelque chose de semblable ou d’identique à elle-même, qui est tout ce que Malherbe en prétend retenir pour l’exprimer dans ses vers. C’est ce que tout le monde enveloppe d’abord sous le nom de la Mort, séparation ou destruction, et, à cet égard, c’est pourquoi, dans ses vers, on croit entendre et reconnaître, déjà, l’accent de Bossuet et de Bourdaloue.

Or, on le remarquera, — sans vouloir énumérer tant de manières qu’il y a de mourir, si différentes, et comme accompagnées de circonstances physiques si diverses, — les grands poètes lyriques ne le sont pas plus pour la splendeur nouvelle et la grâce imprévue de leurs images, ou par un art à eux d’associer leurs idées, que pour avoir de la Mort, comme de l’Amour et de la Nature, une conception particulière et personnelle. C’est ce qu’il serait sans doute intéressant de montrer, et que, dans le siècle où nous sommes, la Mort n’a été ni pour Vigny, ni pour Hugo, par exemple, ce qu’elle était pour Lamartine.


Ton bras n’est point armé d’un glaive destructeur,
Ton front n’est point cruel, ton œil n’est point perfide,
Au secours des douleurs un Dieu clément le guide,
Tu n’anéantis pas, tu délivres !..


s’écriait l’auteur des Méditations. Mais l’auteur des Contemplations, génie moins lumineux, ne voyait, lui, de la Mort que « la quantité d’ombre et d’horreur » qu’elle mêlait à la joie de vivre.


Elle est l’extinction du flambeau, toujours prête.
Il suffit qu’un tyran y pense dans ses fêtes
Où les rois sont assis,
Pour que sa volupté, sa gaîté, sa débauche
Devienne on ne sait quoi de lugubre, où s’ébauche
La pâle Némésis.


Et pour l’auteur enfin de Moïse et des Destinées la Mort était la « demande sans réponse, » « l’énigme inextricable, » à l’ironie de laquelle il opposait le superbe, aristocratique, et glacial dédain de son stoïcisme :


Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue ou courte tâche,
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler.
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.