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Qu’est-ce à dire, sinon que chacun d’eux a pensé ou senti la Mort d’une façon qui n’était qu’à lui, comme il faisait de l’Amour, comme il faisait de la Nature ? et c’est en cela qu’il est vraiment poète et vraiment lyrique. Mais aussi, c’est en cela qu’il ne s’adresse qu’à quelques-uns ; ou plutôt, il s’adresse bien à tous, mais il n’est immédiatement compris que de quelques-uns ; les autres lui résistent, ils opposent leur manière de sentir à la sienne, ils essaient de lui échapper ; et, même quand ils la subissent, ils continuent de murmurer encore contre la tyrannie de sa domination.

Malherbe et son école ont-ils voulu peut-être éviter ces murmures et cette résistance ? En tout cas, je dis qu’ils ont agi comme s’ils l’eussent voulu ; et là est la raison de leur complaisance pour ce que le lieu-commun nous semble avoir aujourd’hui de plus général ou de moins caractérisé. C’est aussi bien que, pour apprendre à écrire, il allait commencer par apprendre à penser, si c’était ce que Desportes, et Ronsard même, avaient sans doute le moins su. Mais pour apprendre à penser, comme il fallait convenir du pouvoir ou de la valeur des mots, en en fixant le sens et en en limitant l’usage, il fallait, pareillement, qu’après en avoir éprouvé le titre et l’aloi, on convînt de la valeur et du pouvoir des idées. Et pour y réussir, il fallait enfin n’en retenir que ce qu’elles avaient d’universellement incontesté. Malherbe, dans ses vers, n’a pas fait autre chose, ni non plus dans son fameux Commentaire sur Desportes. L’intérêt, sous ce rapport, en est de la même nature que celui des Remarques sur la langue française, de son disciple Vaugelas. Et le succès de leurs exemples ou de leurs leçons s’explique par le désir ou le besoin que l’on avait en leur temps de les voir paraître.

Est-il nécessaire de faire observer maintenant qu’en effet, de quelque côté que l’on tourne les yeux, c’est au même but, prosateurs ou poètes, que nous voyons alors tendre tous les écrivains ? On se tenait pour content des poètes que l’on avait, et, — si j’en crois le vieil Etienne Pasquier, dans un curieux chapitre de ses Recherches de la France, — Ronsard n’était pas le seul dont on trouvât les imitations égales ou supérieures même à leurs originaux. En revanche, Guillaume du Vair, dans son traité de l’Éloquence française, se plaignait, presque éloquemment, qu’elle fût demeurée jusqu’alors aussi « basse ». Tel était aussi l’avis des précieuses. Le désir que l’on éprouvait, c’était celui de « communiquer, » si je puis ainsi dire ; et, à l’expérience, on jugeait que la langue n’en fournissait pas les moyens. Malherbe les a recherchés, et il en a trouvé quelques-uns, non-seulement dans ses vers, mais dans ses traductions, qui sont une part considérable de son œuvre. D’autres en ont trouvé d’autres : Balzac dans ses Lettres, Vaugelas dans ses Remarques, Perrot d’Ablancourt dans ses «belles infidèles. » Il n’était rien encore que