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n’offrait à Mlle Louise et sa bourse, et, si elle y consent, sa vie. Louise aime André, mais André n’est-il pas (elle le croit du moins) parti sans rien dire ? Et, en attendant son retour, il faut vivre. Alors, sur les conseils, les instances mêmes de sa mère, elle accepte en pleurant, mais elle accepte de devenir Mme Darlot. Au second acte, elle est mariée et malheureuse. Cet excellent garçon qui l’adore, elle n’arrive pas à l’aimer, sentant entre elle et lui, entre leurs deux esprits, leurs deux imaginations, trop de distance. C’est à André qu’elle pense toujours, et d’autant plus amèrement que maintenant elle sait qu’il l’aimait. Et voici justement qu’il revient, le beau cousin, en uniforme de maréchal des logis. Demeuré tout seul avec Louise, il affecte d’abord l’ironie, la dureté, les reproches amers ; mais bientôt les larmes le gagnent et il éclate en sanglots. Louise alors, après une défense honorable, après avoir supplié André de l’épargner, de la fuir, de la haïr s’il le peut, Louise n’en finit pas moins par se laisser tomber dans les bras du bien-aimé.

La faute à peine commise lui fait horreur, et désormais elle n’a plus qu’une idée, la plus fâcheuse du monde : avouer tout à son mari. Vainement sa mère la supplie de se taire et lui fait les représentations les plus sensées ; elle n’en tient compte et se confesse à Darlot. Celui-ci, d’abord affolé de colère et de honte, se précipite sur elle, l’insulte, la maudit, la saisit à la gorge, et, finalement, dans un accès de désespoir, se jette par la fenêtre. À la répétition générale, il jetait sa femme d’abord. On a réduit le dénoûment de moitié, mais sans l’améliorer. Il demeure ce qu’il était, sommaire, uniquement matériel et d’une vérité relative, puisque, un jour, il exige deux victimes et le lendemain se contente d’une seule. Aussi bien le drame, en son ensemble, a peu de rigueur et pourrait admettre encore d’autres solutions : par exemple, le suicide de la femme ou le pardon du mari.

Ce qui vaut le mieux dans la pièce de M. Legendre, ce n’est pas l’action, encore moins la catastrophe, c’est la teinte générale ou plutôt la demi-teinte de ce tableau provincial et populaire. Oh ! populaire avec honnêteté et discrétion, sans grossièreté ni bassesse, et sans rien pourtant qui trahisse trop la convention et l’artifice. Pantins, a-t-on dit, que ces gens-là ! Non. Ils vivent d’une vie assez vraie, du moins assez vraisemblable, qui manque seulement d’originalité, de profondeur et de dessous ; vie moyenne, ordinaire et qui donne au drame la banalité d’un fait divers. Des traits agréables se rencontrent pourtant et dans le personnage du sympathique mécanicien et dans celui de Mme Boisset, qui nous a paru le mieux observé. La conduite de cette brave femme, en tant que mère et que belle-mère, n’a rien que de plausible et de conforme aux données de la nature. Il se peut qu’une marchande de journaux, tout comme une autre mère, taise à sa fille la