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Halévy, Hérold, sont Français, et entre les plus Français de nos compositeurs, ils ont, à un haut degré, les qualités de notre race, l’esprit, la vivacité, la grâce enjouée, la mesure, l’art de la composition. Mendelssohn, le Wunderkind de Goethe, est Allemand par l’inspiration autant que par les formes de son art. Il a de l’Allemagne le sérieux la science, la poésie, la profondeur, le sentiment de la nature. Si le Juif perce chez lui, c’est par l’effort de la mise en œuvre et le voulu de la composition, par le sens critique, par une sorte d’éclectisme. Pour Meyerbeer, le fond, chez lui aussi, est allemand ; a-t-il quelque chose de juif, c’est la faculté de s’approprier tour à tour le goût ou le style allemand, italien, français ; c’est l’art de les associer, sans toujours réussir à les fondre ensemble. Il est Juif en tant qu’il semble cosmopolite, qu’il sait emprunter à des peuples différens des élémens contraires. C’est chez lui surtout que l’esprit de combinaison prédomine. À ce titre, il est éminemment représentatif. À lui pensait Wagner, en refusant aux Juifs tout génie créateur. S’il est vrai que la musique juive est une sorte d’amalgame de styles divers, quelque chose de composite, comme le nom dont s’était affublé l’auteur de l’Africaine, cela est surtout vrai de Giacomo Meyerbeer. Mais cela ne constitue pas une musique nationale juive ; cela en est plutôt la négation. Y a-t-il parfois chez Meyerbeer (et j’en dirai autant de Mendelssohn) une inspiration proprenaent israélite, c’est l’inspiration religieuse, c’est l’austère écho biblique qui traverse telle page du Prophète.

Et maintenant, faut-il nous demander quel sera le rang des musiciens israélites, de Meyerbeer, notamment, dans l’histoire de l’art ? Ce n’est pas ici le lieu[1]. Le fait est que l’opéra, un royaume qui, lui aussi, a ses révolutions, est demeuré tout un demi-siècle sous le sceptre de Meyerbeer. C’est déjà un long règne pour un Juif d’originalité mince. On a dit de lui qu’à force de volonté, il s’était élevé du talent au génie : beaucoup de talent cuisiné dans beaucoup de patience, notait, je crois, Thomas Graindorge. Cela encore pourrait être donné comme un trait de race ; car, nous le savons, ce qui fait la force du Juif, c’est la ténacité associée à la souplesse. Quant à n’accorder à l’auteur des Huguenots que du savoir-faire, de la facture, des trucs de métier, ou encore la science de l’effet, l’entente du décor, la connaissance de la scène, l’art d’exploiter une situation de théâtre ou une idée musicale, comme ses congénères de la Bourse exploitent une situation de place, il faudrait,

  1. Je remarquerai en passant qu’un des premiers détracteurs de Meyerbeer a été son congénère Mendelssohn, importuné sans doute des succès au théâtre d’un artiste qu’il se sentait inférieur. (Voyez les lettres de Mendelssohn Bartholdy : Briefe aus den Jahren 1830-1847, passim. (Leipzig, H. Mendelssohn.)