Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Sur l’importance du ciel dans le paysage :

La plupart des paysagistes ont le tort de commencer toujours leurs tableaux par la charpente réelle du site qu’ils veulent reproduire, et de chercher ensuite à mettre le ciel d’accord avec les terrains et les arbres. Les habiles restaurateurs de vieille peinture savent combien il est difficile de retoucher un ciel, tandis qu’on rétablit heureusement les autres parties du tableau, si le ciel est intact. De même, dans un paysage composé par l’artiste, quand le ciel est fait, le reste du tableau est sauvé. Il suffit d’avoir le sentiment de l’harmonie et la patience du travail. Car l’effet produit sur la campagne résulte toujours du ciel.

Sur le clair-obscur :

Le noir n’existe dans la nature que pour les mauvais coloristes. Je défie qu’on signale l’emploi du noir dans tout l’œuvre du Corrège, du Titien ou de Rubens. Le noir, s’il existait, serait la négation de la couleur, c’est-à-dire des degrés de valeur de la lumière sur les objets. L’ombre, si vigoureuse qu’elle soit, est toujours la transparence d’un ton plus ou moins déterminé. Il n’y a point de nuit pour les bons yeux. C’est là incontestablement la supériorité de l’école vénitienne et de l’école parmesane, où l’ombre comporte toujours la couleur du dessous. Cette incroyable dégradation de la lumière à l’infini est merveilleuse dans les chairs du Corrège, ou du Titien, ou du Giorgione et de quelques autres maîtres de leur école. L’art du clair-obscur considéré avec raison dans toutes les fortes écoles comme un des trois principaux élémens de la peinture, est tout à fait négligé aujourd’hui, et le mot lui-même, qui exprime assez bien la chose, disparaît presque de la langue des ateliers et des critiques.

Sur l’empâtement :

Si cette sorte de bâtisse opaque et solide va bien aux murs, aux pierres, et quelquefois aux terrains dans le clair, elle est assurément déplacée dans les parties sombres, dans les demi-teintes, dans l’exécution de tous les objets qui exigent de la transparence et de la légèreté. Quelle valeur ont les empâtemens bien ménagés dans les corps solides et lumineux, quand ils s’enlèvent par contraste sur des touches limpides, lestes et capricieuses ! Les maîtres sont bons à consulter sur cette question de pratique. Examinez la variété de la touche chez les Hollandais, qui sont de grands praticiens. Chaque objet est modelé dans un sentiment très particulier. Les draperies ne sont pas peintes avec le même mouvement de la main que les chairs et les têtes. Quant aux fonds, presque toujours ils sont obtenus par des