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ces élémens, il signale la variété de l’univers, qui ouvre à l’art, par la découverte du globe, l’immensité d’un monde inconnu. À la rigueur, cependant, il admet que l’artiste renouvelle les scènes de la Bible et de l’histoire ancienne en allant peindre sur place les types et les sites qui conservent, au bout de milliers d’années, les mêmes aspects qu’autrefois. Il a déclaré d’abord qu’il fallait conserver les grands sujets historiques, car, pour « exprimer une idée significative, digne de l’histoire, il est convenable qu’on choisisse son temps dans la succession des siècles et qu’on incarne en des images consacrées un sujet immortel, comme le patriotisme ou la vertu ; qu’on ressuscite Socrate ou Léonidas, Caton ou Lucrèce, le Christ ou Jeanne d’Arc. » Mais, pour les sujets tirés de la vie familière, il ne veut pas que le peintre déguise sous des costumes d’autrefois « de petits bonshommes, qui lisent, qui boivent, qui jouent aux cartes ou qui font de la musique, » car les liseurs, les buveurs, les joueurs et les musiciens d’aujourd’hui sont aussi pittoresques et plus vrais que ceux d’autrefois. Réflexion faite, ce n’est plus seulement la mythologie, mais les temps bibliques, la Grèce, Rome et le moyen âge qu’il condamne à disparaître : « Il s’agit de savoir si l’art doit se traîner toujours sur les traces du passé : idées, symboles, images de ce qui n’est plus, pastiches rétrospectifs, étrangers désormais à la conscience, aux mœurs, aux faits d’une société nouvelle. Que l’inspiration de l’artiste n’ait plus sa source dans l’antiquité païenne, ni dans le moyen âge catholique, et la forme serait émancipée en même temps que l’invention. » Il craint cependant de porter une condamnation trop complète ; il a le regret de ce qu’il sacrifie, et il en reprend une part : « Ce n’est pas à dire, ajoute-t-il quelques lignes plus loin, que la tradition soit proscrite ni que la peinture ne puisse représenter l’histoire et l’allégorie, à la condition toutefois d’allégoriser en modernes que nous sommes, et d’interpréter l’histoire avec un sentiment progressif, et, en quelque sorte, par une intromission de l’humanité persistante dans ses épisodes variables et temporaires. » C’est un bon sentiment, quoique exprimé en galimatias. Ce qui suit est plus clair, mais en contradiction complète avec ce qui précède : « Les hommes de Corneille et de Shakspeare sont de tous les temps, et peu importe qu’ils s’appellent le Cid ou Hamlet. Quand Rembrandt fait le Bon Samaritain du Louvre, il glorifie une vertu éternelle, la charité, l’homme qui secourt son semblable, en Judée ou en Hollande, avant-hier ou aujourd’hui. Il n’est pas défendu de symboliser le courage, pourvu qu’on ne répète pas Achille, ni la beauté, pourvu qu’on ne pastiche pas Vénus.» Cet argument, tiré de Corneille, de Shakspeare et de Rembrandt, détruit la thèse à l’appui de laquelle il est invoqué.