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mot est l’objet. Mais Thoré ne veut pas du grand art, qu’il définit « la perpétuation des vieilles formes étrangères à la vie. » Ses attaques contre ces vieilles formes sont curieuses à suivre ; elles montrent par quelle série de négations toujours plus étroites, il finit par réduire le domaine de l’art à ce qu’il appelait tout à l’heure « l’art humain, » à ce qu’il va maintenant appeler le naturalisme, comme on le fait autour de lui.

Au début, devant le Faune et la Bacchante de M. Bouguereau, il se contentait de dire qu’il n’aimait pas « ces amours de monstres à longues oreilles et à jambes velues » et qu’il vaudrait mieux « faire tout simplement un homme et une femme qui s’aiment, au lieu de ressusciter toujours les mythes d’une civilisation presque incomprise aujourd’hui. » Cependant, il était en bonne disposition pour accueillir les idées nouvelles, car, en même temps, il raillait les peintres qui, au lieu de regarder fa nature, se demandaient avec angoisse ce que l’on pourrait bien faire « pour résumer ce qu’il y a de mieux, » et, se rappelant que leurs devanciers avaient traduit Homère ou Dante, Shakspeare ou Goethe, reprenaient « l’un Samson, l’autre Alcibiade, l’un une bacchante, l’autre une nymphe, l’un Charlotte Corday, l’autre Marie-Antoinette. » Il concluait : « Celui qui irait tout naïvement se coucher sur un banc du boulevard, et qui ouvrirait l’œil, serait plus sûr que ces chercheurs de quatorze heures en plein midi de remporter dans son atelier un superbe sujet de tableau. » Mais ce n’est encore là qu’une boutade ; somme toute, il n’interdit pas absolument une catégorie de sujets ; il se contente d’en indiquer une autre comme plus accessible et plus facile à traiter. Il se corrigera lui-même tout à l’heure par de notables réserves et s’efforcera de sauver une partie des sujets romantiques ou classiques. En attendant, son aversion particulière pour les faunes se précise et s’étend ; il n’admet pas davantage le centaure, parce que « c’est une bête impossible, contraire à toutes les combinaisons naturelles, avec ses doubles organes soudés bout à bout ; » mais il admet encore la sirène et le sphinx, « harmonieusement compliqués de formes empruntées à diverses espèces. » En an plus tard, il est moins éclectique et s’achemine vers l’intransigeance réaliste : « Il nous semble, dit-il, qu’un naturalisme mêlé d’humanité pourrait désormais remplacer les antiquailles et les mythologiades. Je ne vois plus de naïades dans les ruisseaux, ni d’hamadryades dans les lois ; point de sirènes sur la Seine, sauf les canotières en blouse de flanelle bleu ciel. Bah ! si l’on faisait ce qu’on voit, amoureusement et honnêtement ? »

Il finit donc par sacrifier décidément l’antiquité et la mythologie « à la métempsycose presque complète du monde moderne et aux élémens tout neufs que nous offre la civilisation nouvelle. » Parmi