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la mimique et la physionomie qui leur conviennent, » ce qui n’est pas assez dire, car il y a chez eux l’intensité d’expression qui crée en ressuscitant. Il constate aussi « dans son exécution certaines qualités rares, la délicatesse du pinceau sans maigreur, la légèreté du ton dans les demi-teintes. « Il pourrait y joindre cette précision énergique et sobre qui est la qualité dominante de Meissonier ; mais il faut songer que, vers le même temps, Castagnary le niait avec fureur et traitait son influence de néfaste. Nous verrons le même Castagnary refuser obstinément tout mérite à M. Puvis de Chavannes ; Thoré constate chez lui « l’heureuse combinaison des tendances idéales et d’une pratique savante ; » il ajoute que « l’alliance de ces deux qualités, trop souvent séparées, fait la valeur de ses superbes peintures, » et, après une discussion attentive des mérites et des imperfections, il conclut : « Si ce talent se développe, il honorera l’école qui entend continuer les grandes traditions. » Il le suit dès lors avec un vif intérêt, il comprend et il dit qu’il y a là une force pour l’école française.

Devant les peintres adoptés par l’école réaliste, il semble, comme pour Courbet, que l’excès des éloges l’impatiente, et cet agacement lui fait dire des choses utiles et vraies. Il aime Corot, mais il lui reproche son « exécution incomplète » et constate que « sa peinture vaporeuse, qui charme les artistes et les poètes, ne prend pas une forme assez matérielle, assez palpable, pour frapper les regards vulgaires. » Il conclut ; « Corot n’a presque jamais fait qu’un seul et unique paysage, mais il est bon. » Avec les nouvelles habitudes de la critique, n’y aurait-il pas danger à écrire aujourd’hui avec cette liberté ? Il ne serait pas moins utile à relire sur Millet, dont le culte est devenu du fétichisme : ce qu’il écrit sur lui est vraiment de la critique, en ce qu’il le comprend et le fait comprendre, mais il évite ce lyrisme convenu, une des pires formes de la rhétorique, que fait jaillir à présent le nom seul de Millet. Il caractérise en toute vérité « sa conscience mâle et pure, son imagination austère, sa forte simplicité, ce je ne sais quel caractère qui élève toujours sa création à la hauteur d’un type ; » et surtout la « sobriété vigoureuse » de ses moyens. Cela ne l’empêche pas de corriger lui-même ce qu’il avait soutenu jadis dans une discussion avec le même Millet et de trouver que, dans sa conception des paysans, il apporte « une certaine prévention philosophique, » car, à la façon dont il les représente, ces paysans semblent parfois se douter qu’ils sont des types, que leur condition est trop rude et qu’ils doivent le prouver au spectateur.

Une pierre de touche à peu près infaillible de la valeur d’un critique, c’est la manière dont il juge les nouveaux-venus. Les