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plus possible : quoique ces figures ne soient pas encore assez fermement posées et qu’elles manquent d’accent, de parti pris, elles annoncent l’Esclave ou le Prisonnier endormi, du musée du Louvre, et forment les échelons qui aboutissent à cette merveille. Il faut surtout comparer l’Esclave du Louvre au Saint Sébastien de Benedetto da Majano, dans l’église de la Miséricorde à Florence (photographie d’Alinari, n° 4901) : la tête y est renversée de même en arrière, et les jambes portent de même. Mais Michel-Ange, au lieu de lier les deux bras derrière le dos, les a ramenés l’un sur la poitrine, l’autre sur la tête, trait de génie qui donne à la figure une éloquence et un pathétique inattendus.

Vis-à-vis d’un autre artiste que l’on range d’ordinaire parmi les précurseurs de Michel-Ange, le problème est plus compliqué : je veux parler de Luca Signorelli, le peintre au Jugement dernier d’Orviéto. Que de fois n’a-t-on pas affirmé que les études anatomiques de Signorelli avaient servi de point de départ à celles de Michel-Ange, de même que sa recherche de la musculature et sa passion pour les effets de torse ! En réalité, le Jugement dernier d’Orviéto, commencé en 1499 seulement, n’a été terminé que vers 1505. Or, longtemps auparavant, dans le Combat des Centaures et des Lapithes notamment, Michel-Ange avait montré à quel point il possédait la connaissance de la structure anatomique du corps humain et avec quelle puissance il savait la mettre en relief. Ce ne fut que dans le Jugement dernier de la chapelle Sixtine qu’il s’inspira du Jugement dernier de Signorelli : le démon qui descend, portant une femme sur le dos, rappelle, par sa disposition générale, le motif analogue peint à Orviéto. Mais la force aveugle qui s’appelle le destin eut plus de part à cette rencontre que la volonté bien réfléchie de Michel-Ange, qui certainement ne s’appliqua jamais, de propos délibéré, à imiter Signorelli, artiste encore passablement archaïque, comme il avait imité, par exemple, l’antiquité ou Jacopo della Quercia. Bien plus, Signorelli, à son tour, devint tributaire de celui que l’on a représenté comme son plagiaire : il copia en grisaille la Pietà de Saint-Pierre de Rome.

Si l’on tient sous ce rapport à découvrir des précurseurs à Michel-Ange, pourquoi ne pas évoquer le souvenir d’Andréa Verrocchio et d’Antonio Pollajuolo, dont les recherches persistantes firent faire un si grand pas aux études anatomiques ? Tous deux avaient depuis longtemps quitté leur ville natale pour se fixer, l’un à Venise, l’autre à Rome ; mais dans un milieu aussi effervescent que Florence, leurs enseignemens, même indirects, ne pouvaient manquer de laisser une trace durable.

J’ai réservé pour la fin de ce premier chapitre l’histoire des relations