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de Michel-Ange avec Domenico Ghirlandajo ; c’est qu’en réalité le prétendu maître n’a exercé aucune influence sur l’élève supposé. Les quinze ou dix-huit mois que Michel-Ange passa dans son atelier, comptent cependant parmi les plus féconds de la carrière de Ghirlandajo. Il avait commencé en 1485 les fresques de Santa-Maria-Novella, son chef-d’œuvre, et il y travailla jusqu’en 1490, tout en menant de front l’exécution d’une foule d’autres ouvrages, tels que des retables ou des mosaïques pour l’église de l’Annonciation ou pour le dôme de Florence. Qui ne connaît la décoration si fière et si pittoresque de Santa-Maria-Novella, ces scènes de l’Histoire de saint Jean-Baptiste et de l’Histoire de la Vierge, dans lesquelles l’artiste, par un anachronisme qui devait profondément choquer le jeune Michel-Ange, représenta les Israélites dans le costume des Florentins du XVe siècle, et donna aux Patriarches les traits des Tornabuoni, qui avaient commandé l’ouvrage, des Médicis, qui étaient les parens des Tornabuoni, et des plus marquans d’entre leurs amis ? Rien ne se saurait imaginer de plus opposé aux tendances auxquelles Michel-Ange resta fidèle toute sa vie. Remarquons d’abord qu’ici la recherche du pittoresque (types, costumes, mobilier, ornemens) l’emporte sur celle du grand style, sur la poursuite de figures plus ou moins idéales, d’un costume se rapprochant de celui de l’antiquité, du moins par sa simplicité, tel qu’il est de règle chez Michel-Ange, tout comme chez Léonard, quelle que soit d’ailleurs la différence entre les aspirations des deux maîtres. Michel-Ange aime à condenser tout un monde de sensations dans un personnage unique ; Ghirlandajo a besoin d’acteurs nombreux, de brillans accessoires, pour frapper le spectateur. Et dans ces personnages mêmes, quelle maigreur de dessin, comparée à l’ampleur, au relief extraordinaire que le Buonarroti saura mettre dans ses toutes premières créations ! Comme Ghirlandajo, malgré son étude de l’antique, est resté pauvre et maniéré, en regard de son immortel disciple ! Aborde-t-il le nu, il le fait avec une insuffisance choquante, par exemple dans le Baptême du Christ, Comparons-nous ses Évangélistes, inscrits dans les segmens triangulaires des voûtes, avec les Prophètes de Michel-Ange, quel abîme ! Ce sont des figures correctes, à l’expression sérieuse, aux draperies savamment disposées, mais qui ont le tort d’être écrasées par les gigantesques créations de la Sixtine. Le Jugement dernier, peint dans l’abside de Santa-Maria-Novella, provoque un autre rapprochement, non moins redoutable. L’ensemble abonde d’ailleurs en qualités séduisantes : ce coloris ambré, d’une distinction si grande, l’élégance des Florentines qui assistent à la naissance de saint Jean-Baptiste, l’arrangement des paysages.