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Si j’insiste sur ces contrastes, c’est que le fils de Dominique Ghirlandajo, Rodolphe, cherchait à accréditer le bruit que Michel-Ange devait énormément à son père. Le fait est que celui-ci ne constatait pas sans jalousie les progrès d’un élève qui menaçait dès les premiers jours de l’éclipser. Aussi les rapports du maître et de l’élève furent-ils loin d’être empreints de cordialité. Dominique avait un penchant à la jalousie, et Michel-Ange, par sa supériorité éclatante, ne pouvait manquer d’alimenter ces sentimens mesquins ; son irrévérence fit le reste. Un jour qu’un de ses condisciples avait dessiné plusieurs femmes d’après une composition de Ghirlandajo, il prit le dessin, refit les contours d’une des femmes au moyen d’un trait plus épais et substitua une figure parfaite à une figure insuffisante.

La situation devint bientôt fort tendue entre le maître et le disciple. Après avoir essayé de faire croire qu’il avait eu une grande part à l’exécution de la Tentation de saint Antoine, Ghirlandajo en vint jusqu’à refuser à son élève de lui communiquer l’album dans lequel il avait consigné un certain nombre d’études d’animaux, de fabriques, de paysages, de ruines. Michel-Ange, qui n’oubliait pas facilement, se garda bien de cacher ces détails à son biographe, quelque soixante ans plus tard. Ici encore, Granacci intervint comme l’ange tutélaire de son ami. Ce fut lui qui, au témoignage de Condivi, introduisit son jeune ami dans les jardins des Médicis, lui ouvrant ainsi un monde de jouissances nouvelles. Dès lors Michel-Ange ne quitta plus ce musée sans rival, dans lequel trois générations d’amateurs aussi éclairés qu’ardens avaient entassé les merveilles de la statuaire antique.


II.

On n’a pas tenu assez de compte, à mon avis, de l’influence que le séjour chez les Médicis exerça sur le développement intellectuel de leur jeune protégé. C’est au milieu de leurs collections inappréciables que Michel-Ange se familiarisa avec les moindres secrets de l’art antique, sauf à mettre dans ses créations une chaleur et un mouvement inconnus aux maîtres auxquels il faisait l’honneur de les consulter.

Pour ce qui est d’énumérer ces emprunts ou de définir l’action exercée sur le débutant par ces modèles, ce n’est pas en quelques pages que je puis essayer de résoudre un problème si compliqué. Qu’il me suffise de dire que, si l’antiquité a fourni en abondance à l’artiste de la renaissance et des idées et des motifs, si elle lui a