Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la honte, la douleur, c’est l’âme, la grande âme de la foule, et dans ce magnifique prologue c’est elle surtout qui gémit et désespère :


Dieu même, disent-ils, s’est retiré de nous.
De l’honneur des Hébreux autrefois si jaloux,
Il voit sans intérêt leur grandeur terrassée,
Et sa miséricorde à la fin s’est lassée.
On ne voit plus pour nous ses redoutables mains
De merveilles sans nombre effrayer les humains.
L’arche sainte est muette et ne rend plus d’oracles.
— Et quel temps fut jamais plus fertile en miracles !..


Si la réplique de Joad est superbe d’assurance et de foi, celle de Samson : Implorons à genoux le Seigneur qui nous aime, péroraison héroïque et sacrée, strophe de feu, volant sur l’aile des harpes, couronnée de notes éclatantes, ne vous semble-t-elle pas plus belle encore, plus belle de tout le surcroît de beauté que donne la musique à la parole humaine ? Classique aussi, classique toujours, le cantique de guerre : Israël, romps ta chaîne, où le musicien paraît s’être souvenu d’un modèle que sans doute on n’égalera pas, mais qu’on peut imiter : l’hymne du Prophète : Roi du Ciel et des Anges. La rencontre entre les deux inspirations mérite d’être remarquée. Jusque dans le détail les deux morceaux se ressemblent : même tonalité, même rythme, même carrure. Chez M. Saint-Saëns, même recherche que chez Meyerbeer, ou même instinct peut-être, de la vérité, des nuances de la passion. Après Samson comme après Jean de Leyde, le chœur reprend le cantique ; mais sur un autre accompagnement, sur des accords non plus égrenés par les harpes, mais assénés durement par la masse de l’orchestre, et ce changement d’attaque et de timbre suffit à marquer la différence entre le héros et le peuple, entre l’enthousiasme du voyant et l’élan aveugle de la foule.

Nous parlions d’Athalie ; voici qu’une autre page de ce premier acte nous y ramène. Les Hébreux, fondant sur les Philistins, les ont taillés en pièces, et la scène reste vide pendant le combat. Puis une série d’accords longuement tenus se fait entendre, et le jour commence à poindre. À l’Opéra, par l’insuffisance ou l’hésitation du lever de soleil, l’effet de ce passage a été presque annulé. À l’Éden, il était considérable : les ondes lumineuses accompagnaient les ondes sonores, la clarté se répandait avec l’harmonie, et cette aurore, en quelques notes très simples, avait la grandeur sobre de cette autre aurore, en quelques mots très simples aussi :


Et du temple déjà l’aube blanchit le faîte.


C’est à ces beautés-là, peut-être les moins accessibles, que je voulais m’arrêter d’abord, les autres pouvant mieux attendre qu’on les signale et