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flottant pour nous abandonner ensuite à nous-mêmes, Rembrandt évoque chez nous cette part de collaboration active qui achève les plus hautes créations de la littérature et de l’art. » Ainsi s’exprime M. Emile Michel ; et on ne saurait sans doute mieux dire. Mais, de montrer comment son livre tout entier prépare cette conclusion, par quels moyens, par quelles considérations, alternativement tirées de ce que les conditions de l’art de peindre ont de plus particulier, de plus technique même, ou de ce que les lois de l’esthétique ont de plus général, et qui s’impose à tous les arts, comme à toutes les manières de penser les lois de la logique formelle, c’est ce qui serait intéressant ; et, par malheur, c’est aujourd’hui ce qu’il nous est interdit de faire. Heureux encore, en l’occasion, de n’avoir pas besoin de présenter M. Emile Michel à nos lecteurs, qui connaissent tous ses belles Études, et qui, pour les connaître, ayant souscrit par avance à tout ce que nous disons de son Rembrandt, y sauront ajouter |d’eux-mêmes tout ce que le manque de place et de temps nous empêche d’en dire.

Nous n’avons pas non plus à leur présenter Charles Blanc, feu Charles Blanc, ni même la nouvelle édition de la Grammaire des arts du dessin[1]. C’est un bon livre, qui a un peu vieilli ; et je ne sais comment en le rouvrant je suis tombé sur les lignes suivantes : « Winckelmann raconte, dans ses Remarques sur l’architecture des anciens, que les jeunes filles de Rome, lorsqu’elles ont été promises en mariage, se font voir à leur époux pour la première fois dans la rotonde du Panthéon, parce que le jour n’y pénètre que par une ouverture pratiquée au centre de la voûte, et que le jour d’en haut est le plus favorable à la beauté. Les femmes sont ici les meilleurs juges, et leur décision est sans appel. » Il ajoute à son tour que : « l’homme étant le seul parmi les êtres vivans, à qui l’attitude verticale soit naturelle, est ainsi destiné à recevoir la lumière qui tombe d’en haut ; » et je suis étonné qu’il ne cite pas le vers :


Os homini sublime dedit…


Ce mélange de galanterie surannée, d’esthétique, et de « cause-finalisme, » caractérise assez bien Charles Blanc, sa Grammaire des arts du dessin, et sa philosophie de l’art. Mais, après cela, comme on le sait assez, le livre n’en contient pas moins des observations excellentes ; et, seul ou presque seul qu’il est de son espèce, comme il a rendu de grands services, il en rendra certainement encore. Je lui sais gré surtout de maintenir fermement ce point : qu’il y a des principes ou, pour mieux dire, des lois ; que non-seulement on peut, mais qu’il faut

  1. Grammaire des arts du dessin, par Charles Blanc, de l’Académie française et d« l’Académie des beaux-arts, ouvrage orné de 300 gravures, 1 vol. grand in-8o ; librairie Renouard.