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Éthiopiens et autres esclaves qu’un marchand avait mis en vente sur le port, « la France ne pouvant admettre aucune servitude ; » ce qui n’empêchait pas ce commerce d’être très prospère encore dans les villes de Provence, où un enfant nègre de douze ans coûtait environ le double d’un perroquet. Nos voisins de Gênes prenaient grande part à ce trafic.

On ne doit donc pas être surpris si, du XIIe au XIVe siècle, il n’y a pas de château, pas de bonne exploitation en Languedoc ou en Gascogne, à laquelle ne soient attachés un ou plusieurs « sarrasins, » immobiliers, dépendances du domaine. Au XVe siècle encore, cette région fourmille d’esclaves de toute couleur : noirs, blancs, olivâtres ; de toutes nations : Turcs, Russes, Égyptiens ; et appartenant à toutes les classes de la société. Dans l’inventaire d’un marchand figurent six esclaves dont « quatre femmes jeunes et blanches. » Un habitant de Perpignan écrit à un notaire de Barcelone (1438) pour le prier de lui acheter une esclave de plus de trente ans. Il lui demande en même temps à quel prix pourrait se vendre, à Barcelone, l’enfant naturel d’un esclave, âgé de quatre ans et demi environ, dont on lui offre déjà 35 livres.

Le prix variait, au XIVe siècle, depuis 290 francs de notre monnaie, pour une esclave enceinte âgée de vingt-trois ans, achetée par un apothicaire, jusqu’à 367 francs pour une fille blanche de race tartare, baptisée, achetée par un prêtre. Le bétail humain était meilleur marché à Constantinople : une jeune femme esclave n’y valait que 226 francs (1367). En France, au XVe siècle, un « sarrasin noir » coûte 672 francs, un esclave blanc 650 francs. Ces esclaves servaient à toutes fins, puisque le comte de Roussillon défend (1431) « à tout homme marié, dans les ordres ou religieux, de tenir une esclave dans sa maison ou dans une maison étrangère, per usar ab aquella carnalmente.

Nos idées sur l’esclavage, on ne saurait se le dissimuler, ne se sont modifiées que d’hier. Au XVIIe siècle, notre gouvernement s’efforçait de paralyser la piraterie qui avait pour objet, non la traite des blancs, mais la traite des Français. Il n’y a guère plus de cent ans, tandis que l’esclavage temporaire des blancs, — il pouvait durer jusqu’à huit ans, — était encore admis dans toutes les colonies de l’Amérique du Nord, la législation de Saint-Domingue, de la Guyane, etc., interdisait aux habitans d’affranchir leurs esclaves sans en avoir obtenu par écrit la permission du gouverneur. Il était également défendu aux maîtres « de faire baptiser, comme libres, des enfans dont les mères sont esclaves, et qui, par ce moyen, sont réputés affranchis. » Et comme il paraît que, malgré tout, ces défenses étaient violées, une ordonnance de Louis XV porte que « Sa Majesté, voulant faire cesser des abus aussi dangereux, »