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renouvelle et renforce les prohibitions antérieures, dont le but était de restreindre l’affranchissement.

Vers la même époque, la traite des noirs sur les côtes d’Afrique était considérée, par notre conseil d’État, comme un commerce digne d’encouragement. Les nègres valaient alors environ 1,400 francs, les négresses 1,300, et les négrillons en âge de travailler, un millier de francs. L’intérêt, à 5 pour 100, de ces sommes n’était guère inférieur que d’un tiers au prix que l’on payait, en France, le service des domestiques de ferme entretenus dans les mêmes conditions, vers 1789. Et si l’on compare les avantages et les inconvéniens des esclaves, dont la reproduction compense, moins que celui de tout autre bétail, la déperdition résultant de mort naturelle, d’infirmités ou d’accidens, et qui fournissent toujours une somme de travail beaucoup moindre qu’un manœuvre indépendant, on en viendra à se demander si le travail esclave n’était pas beaucoup plus cher, il y a cent ans, que le travail libre.


V

Si la propriété privée du moyen âge comprend plus de choses que la nôtre, — des choses qui ne sont plus susceptibles de propriété, comme l’homme ; ou qui ne sont plus susceptibles de propriété individuelle, comme les fleuves, la mer, — elle est d’un autre côté, sur ce qu’elle embrasse, beaucoup moins entière que la propriété moderne, grevée de plus de servitudes, plus enchevêtrée, plus entravée dans son exercice. Elle a plus d’étendue et moins de profondeur.

Le droit de propriété n’étant qu’une convention, on peut avoir sur lui des opinions très différentes, en théorie ; sur sa forme, par exemple : propriété nationale, provinciale, communale, familiale ou individuelle… Y a-t-il une de ces propriétés qui soit plus légitime qu’une autre ? Pourrait-on seulement soutenir qu’il y ait des propriétés légitimes et d’autres qui ne le soient pas, au point de vue du droit « naturel ? » Le droit naturel, oserait-on même affirmer qu’il existe, en matière de propriété ? Que l’homme en puise vraiment la source dans la nature, dans l’instinct de sa raison ? Comment se ferait-il alors que ce droit, chez les divers peuples de l’univers et aux diverses périodes de l’histoire du monde, revête des formes si différentes ? Et comment se fait-il aussi que l’on ne soit pas d’accord pour déterminer nettement les choses qui peuvent être soumises au droit de propriété ?

Nous venons de voir que la personne humaine était jadis sujette à possession ; l’abolition de l’esclavage a été, en son temps, non-seulement une atteinte à la propriété du maître d’esclaves, mais