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données de l’histoire. Mais elles sont bien incertaines, et sans doute on ne saurait citer une seule race au monde qui soit parfaitement pure, je veux dire dont le sang ne soit un mélange et comme une amalgamation de vingt autres. Qui de nous se vantera d’être Aryen ? Qui prouvera seulement qu’il est Celte ? Nous ne sommes assurés que d’être Français ou Allemands, Italiens ou Anglais, Américains ou Chinois. Comment donc l’histoire résoudra-t-elle le problème et comment sortirons-nous de la difficulté ? Ce sera par la difficulté même, et, pour ainsi parler, en nous aidant des lueurs qu’elle jette en s’augmentant. Chinois ou Américains, Anglais ou Italiens, Allemands ou Français, si nous sommes assurés en effet d’une chose par l’histoire, c’est que ces noms enveloppent ou confondent sous l’unité d’une même désignation vingt races autrefois différentes ou ennemies. Grande ou petite, aucune pairie ne s’est jamais formée qu’aux dépens de ce que l’on pourrait appeler les indépendances locales ; et, — sans examiner ici, pour le moment, les moyens que l’on en a pu prendre, — aucun peuple n’est jamais sorti que de l’agglomération et de la fusion ensemble d’une multiplicité de tribus ou de clans. Bien loin donc d’être dans le passé, c’est dans l’avenir que serait l’unification de l’espèce humaine. Le passage qui s’est fait ailleurs de l’homogène à l’hétérogène s’est fait au contraire ici de l’hétérogène à l’homogène. C’est la pluralité des races qui est ancienne. Tout le mouvement de l’histoire ne semble avoir tendu qu’à en diminuer le nombre. Puisque d’ailleurs il en est de même de l’évolution des langues et de celle des religions, l’analogie confirme les résultats de l’observation directe. Et le polygénisme se trouve ainsi rendu vraisemblable, — sinon tout à fait démontré, — par les mêmes moyens que les grandes hypothèses de la science moderne, sur l’attraction par exemple, ou sur l’unité des forces physiques : il concorde avec toutes les données de l’histoire ; et, presque tous les faits dont le monogénisme est impuissant à rendre compte, il les explique.

Nous comprenons alors la nécessité de la guerre, et selon l’expression de M. Gumplowicz, nous comprenons la nécessité de la « lutte des races pour la domination. » Comme les espèces dans la nature, si les races humaines sont nées pour ainsi dire ennemies ; s’il y a de la défiance, et de la haine déjà prête à surgir dans la curiosité qu’elles s’inspirent ; ou même si, réciproquement, on en voit ressentir les unes pour les autres, — la blanche pour la jaune, ou la jaune pour la noire, — une sorte d’horreur et de dégoût physiologiques, ce n’est point à un calcul qu’elles obéissent quand elles se ruent in mutua funera, comme disait l’auteur des Soirées de