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qui fait la race, mais, au contraire, la race fait le sang. Par là, une question, non-seulement obscure, mais contradictoire dans les termes, — car, si l’on ne peut nulle part observer de races naturelles, comment, en vérité, les définirait-on ? — se trouve ramenée à une question purement historique. Tout ce que le mot exprimait de lointain et de mystérieux s’éclaire en se rapprochant de nous. Des races, encore aujourd’hui, se forment sous nos yeux, prennent conscience d’elles-mêmes comme races, se posent et s’opposent à d’autres comme telles. Observons-les. La complexité des phénomènes, qui peut bien en masquer la nature, ne saurait cependant la modifier dans son fonds. L’homme étant toujours l’homme, les lois qui le gouvernent sont aussi toujours les mêmes, si Montesquieu les a bien définies en les appelant les rapports nécessaires qui résultent de la nature des choses. Le problème ethnique, reculé jusqu’alors dans les profondeurs de la préhistoire, a donc désormais une base expérimentale. Comment naît un peuple ? Nous pouvons nous proposer de répondre à une question dont nous avons pour ainsi dire les élémens sous la main ; et, de la philosophie de l’histoire ainsi renouvelée, par une définition nouvelle de la race, M. Gumplowicz essaie, pour compléter son œuvre, de tirer maintenant une manière nouvelle de concevoir et d’écrire l’histoire.

Au lieu donc de se proposer, comme autrefois, pour unique ou principal objet, de raconter des batailles et des révolutions, de célébrer des grands hommes ou de flétrir des tyrans, de démonter encore le mécanisme des institutions politiques, ou de décrire les mœurs, l’historien s’attachera désormais à reconnaître et à démêler ce que M. Gumplowicz appelle le « processus de formation des races. » Là, en effet, est, comme on l’a vu, le phénomène essentiel de l’histoire de l’humanité ; là est, par conséquent, la raison d’être de l’histoire ; là enfin pour chacun de nous est l’intérêt de l’histoire nationale. Comment s’est formée la race française ? par quels mélanges de sangs ? dans quelles circonstances ? à la faveur de quels événemens ? Dans cette formation lente et successive, quelle a été la part des Gaulois, des Romains, des Germains ? Par quels moyens la population conquérante s’est-elle assimilé la population conquise ? la première a-t-elle asservi la seconde, ou la seconde a-t-elle absorbé la première ? Quelle combinaison nouvelle est résultée de l’échange de leurs défauts ou de leurs qualités, du conflit de leurs aptitudes, de la fusion de leurs intérêts ? Quels obstacles cette fusion a-t-elle rencontrés ? intérieurs, comme la diversité des langues et des religions, ou extérieurs, dans la formation des nationalités et des races voisines ? Comment encore en a-t-on triomphé ? quand et qui ? par la force ou par l’adresse ? au prix aussi de quels