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A 83 REVUE DES DEUX MONDES.

grâces. A bon chat bon rat, telle a été sa devise, et le rat et le chat disputent trop souvent sur des misères, sur la pointe d’une aiguille. Ce qui prouve que M me Isabelle se laisse facilement apprivoiser, pourvu qu’on lui témoigne quelques égards, c’est qu’elle m’a prise en affection, qu’elle est pleine d’attentions pour moi et m’attire sans cesse auprès d’elle.

— Gela ne m’étonne pas, lui repartis-je ; vous n’avez pas à régler avec elle des questions de partage et des conflits d’autorité, tandis qu’elle en veut peut-être à sa bru de lui avoir pris son fils.

— Et pourtant, répliqua-t-elle, il a montré dans cette affaire autant de bon sens que de cœur. Il avait fait à sa mère la concession de ne pas s’éloigner d’elle après son mariage ; mais il a désiré et obtenu que les deux ménages fussent distincts. Le château est grand, comme vous savez ; M me Isabelle continue d’habiter l’aile droite, les nouveaux mariés se sont installés dans l’aile gauche, et de part et d’autre, on a son salon, sa salle à manger ; tout au plus s’invite-ton quelquefois à dîner. Le parc seul est commun. Je vous répète que Louis est admirable. En revenant de sa fabrique, il appartient tout entier à sa femme, et chaque soir, à dix heures, il va faire une visite à sa mère, qui se couche tard. De quoi pourraient-elles se plaindre l’une et l’autre, si elles étaient raisonnables ? .. N’allez pas prendre cette affaire au tragique, ajouta-t-elle. Je suis intimement convaincue que tout finira par s’arranger, que le jour de la raison viendra, que Niquette apprendra à se défier de ses premières impressions, de son premier mouvement, à réagir contre elle-même. Réagir, réagir ! tout est là... Mais nous perdons notre temps. J’ai beaucoup de choses à vous montrer. Si vous croyez retrouver Mon-Désir tel que vous l’aviez laissé, vous vous trompez bien ; j’y ai fait quelques changemens et vous m’en direz votre avis.

J’admirai les miracles qu’opère le sentiment de la propriété. Depuis qu’elle était devenue la maîtresse de Mon-Désir, elle s’intéressait passionnément à une foule de détails qui jadis la laissaient fort indifférente. Elle me promena dans tout le parc ; elle avait rectifié des allées et fait abattre des arbres, éclaircir des taillis pour ménager des échappées de vue. Elle avait agrandi le jardin et en avait modifié la distribution. Elle me fit visiter toute la maison, de la cave au grenier et des cuisines jusqu’aux chambres des domestiques. Elle entendait que dans son royaume tout portât sa marque, et partout elle avait trouvé quelque chose à faire, en s’inspirant de ses idées particulières sur l’hygiène et le confort. Enfin, elle me mena voir un poulailler tout neuf, qui dans son genre, pour employer son expression, était « le dernier mot du