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496 REVUE DES DEUX MONDES.

mageait avec usure ; mais conservant toujours son sang-froid, elle ne se pressait point, elle savait attendre les occasions. Elle suspendit les hostilités, fit trêve aux épigrammes, radoucit sa voix, prit un air bénin, raconta avec enjouement je ne sais quelle mésaventure comique récemment survenue, qui défrayait depuis deux jours les conversations des oisifs d’Epernay. Monique restait sous les armes, et prévoyant de nouvelles attaques, se tenait prête à la parade. M me Isabelle se leva pour partir ; mais avant d’ouvrir la porte, elle s’approcha de l’armoire peinte, l’examina, et du ton le plus gracieux :

— Bien que je m’y connaisse peu et que mes complimens soient sans valeur, je ne crains pas de me tromper en trouvant ces fleurs charmantes. Mais pourquoi ne peignez-vous plus que des fleurs ? Sidonie m’assure que vous avez un grand talent pour le portrait.

— Elle me flatte.

— Ah ! permettez, elle m’a dit qu’un matin vous aviez fait le vôtre, et que, selon vous, c’est votre chef-d’œuvre, mais que vous n’avez jamais voulu le montrer à personne.

À ces mots, une rougeur de honte me monta au visage, et je craignis que ces deux femmes ne lussent mon crime dans mes yeux. Heureusement, Monique ne me regardait pas, M me Isabelle fut la seule à s’apercevoir de mon trouble et elle en tira de fausses conclusions.

— Je suis sûr, monsieur Tristan, que vous l’avez vu, ce fameux portrait.

Je payai d’audace, et tout en pensant au tiroir de commode où je l’avais enfermé sous clé, je lui affirmai que je ne le connaissais que de réputation.

— Les vieilles femmes sont curieuses. Ma chère, ne me ferez-vous pas le plaisir de me le montrer ?

— Impossible, hélas ! Je l’avais si bien caché qu’en revenant de mon voyage de noces, je n ? ai pas réussi à le retrouver, et j’ensuis fort marrie, car j’y tenais beaucoup.

— Et pourquoi l’aviez-vous caché ? Serait-il vrai, comme vous l’avez dit à votre sœur, que c’est un de ces portraits qu’on garde pour soi et qui ne sont pas montrables ?

— C’est une peinture inconvenante au dernier chef, lui repartit Monique en la narguant. Si je la retrouve et que je consente à vous la faire voir, elle ajoutera sûrement à la mauvaise opinion que vous avez de moi.

— Mais non, mais non, répondit M œe Isabelle, en traversant le vestibule, je n’ai pas mauvaise opinion de vous. À la vérité, je ne dirai pas, comme M. Tristan, que je vous trouve parfaite ; vous avez vos petits défauts, et je vous le donne quelquefois à entendre.