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qui ne fait rien pour en adoucir les rudesses, sir Evelyn Baring, devenu aujourd’hui lord Cromer. Que ce prince adolescent ne supporte parfois qu’avec la généreuse impatience de la jeunesse, le joug qu’on lui fait trop sentir, et qu’il ait eu la volonté de s’émanciper à demi, ce n’est pas bien surprenant ; peut-être aussi a-t-il cru que l’avènement d’un cabinet libéral, en Angleterre, lui rendait quelque liberté. Toujours est-il qu’il a cru pouvoir congédier un premier ministre qui n’était qu’un instrument docile du protectorat anglais, Mustapha-Fehmi-Pacha, et qu’il l’a remplacé par un homme moins inféodé à l’influence étrangère, Fakhri-Pacha, en renouvelant son ministère. Aussitôt le conflit a éclaté avec une singulière violence. Lord Cromer s’est hâté de réprimer ces velléités d’indépendance du jeune vice-roi et de lui rappeler qu’il ne pouvait rien faire sans l’agrément de l’Angleterre. Abbas-Pacha, livré à lui-même, a plié devant la menace, puisqu’il ne pouvait faire autrement ; il n’a pourtant plié qu’à demi, et s’il s’est résigné à sacrifier Fakhri-Pacha, qu’il venait de nommer, il a refusé de reprendre Mustapha-Fehmi : c’est un troisième personnage, Riaz-Pacha, qui est devenu président du conseil. Le conflit entre le jeune vice-roi et son tout-puissant protecteur a fini par une transaction apparente. L’acte de prépotence n’a pas moins été ressenti au palais d’Abdin et dans le public du Caire. Ce n’est pas tout : à peine ces incidens ont-ils été connus à Londres, lord Rosebery a saisi l’occasion d’affirmer sa politique. Il ne s’est pas contenté d’approuver et de soutenir lord Cromer, il a demandé aussitôt une augmentation du corps d’occupation anglais, qui est déjà de quelque 3,000 hommes. On a envoyé un bataillon, un escadron, peut-être un millier d’hommes de plus. Peu importe le chiffre : c’est la mesure par elle-même qui est significative. Il en résulte bien clairement, aux yeux du monde, que le vice-roi n’est plus même libre de choisir ses agens, — et ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’un ministère libéral de la reine, dont le chef a paru toujours favorable à la cessation d’un état irrégulier en Égypte, ne trouve rien de mieux que de continuer la tradition de lord Salisbury, d’aggraver ce qu’a fait le vieux torysme.

Comment va-t-on maintenant sortir de là ? Le ministère Gladstone-Rosebery a pu sans doute trouver habile de frapper l’opinion par une démonstration de force, par l’éclat d’un acte extérieur avant d’aborder les grands débats parlementaires qui se préparent. Malheureusement cela ne résout rien en Égypte. Si le cabinet anglais a cru fortifier son autorité morale dans la vallée du Nil par la rudesse de ses procédés, il s’est visiblement abusé ; il n’a fait que réveiller les instincts d’indépendance en Égypte. Il n’a réussi qu’à populariser le jeune Abbas-Pacha, qui, depuis ce moment, s’est vu l’objet de toute sorte de manifestations publiques, — et, chose bizarre, il est réduit