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aujourd’hui à voir dans cette popularité du jeune khédive un péril pour le protectorat, à chercher dans des manifestations qui n’ont rien que de simple un prétexte d’augmenter ses forces militaires ! D’un autre côté, si puissante que soit l’Angleterre, si particulière que soit sa position sur le Nil, il est bien clair qu’elle n’est pas seule, que cette question égyptienne n’est pas uniquement une affaire anglaise, qu’elle est aussi une affaire européenne. On peut, sans doute, pour prolonger une situation irrégulière, essayer de se servir des divisions de l’Europe, opposer la triple alliance à la France et à la Russie. C’est un artifice de polémique dont les journaux anglais ont usé et abusé depuis quelques jours. La situation ne reste pas moins ce qu’elle est, toute diplomatique, européenne, et si le cabinet anglais, dans un intérêt parlementaire, a cru devoir accomplir un acte d’autorité au Caire, il est toujours lié par des engagemens que la France n’a fait que lui rappeler récemment, qu’il ne méconnaît pas lui-même, auxquels il sera bien obligé tôt ou tard de faire honneur.

Les ministères ont leurs embarras et leur destin en Angleterre comme partout, en Italie comme en Angleterre. Lorsqu’il y a quelques mois déjà, au lendemain des élections d’un nouveau parlement italien, le ministère de M. Giolitti semblait pouvoir compter sur une immense majorité, c’était une impression assez générale qu’il fallait attendre, que les plus grosses majorités étaient les moins sûres, que M. Giolitti pourrait avoir le sort de M. Crispi qui, lui aussi, avait sa majorité ! Cette impression a été bientôt justifiée, peut-être plus qu’on ne le croyait. M. Giolitti n’a pas tardé à rencontrer sur son chemin un péril qu’il n’avait pas prévu, qui n’a rien de diplomatique ni même d’essentiellement politique, — qui tient à des incidens tout intérieurs. Le fait est que l’Italie, avec la débâcle de ses banques d’émission, se trouve aujourd’hui dans une crise à peu près semblable à celle où se débat la France, et que, si elle n’a pas son Panama, elle a ce qu’on appelle son Panamino. Il n’y a que quelques semaines, un député de l’extrême gauche, M. Colajanni, avait déjà interpellé le gouvernement au sujet des banques d’émission dont il signalait les opérations irrégulières, suspectes, et il ne demandait rien moins qu’une enquête parlementaire pour « faire la lumière, » comme on dit aujourd’hui. Le président du conseil, M. Giolitti, en refusant d’accepter l’enquête parlementaire, promettait une sévère et minutieuse enquête administrative et il ne méconnaissait pas du reste la nécessité d’une réorganisation des banques. Il avait, à ce qu’il semble, la pensée de ramener toutes les banques provinciales d’émission à un système de banque unique sous le nom de banque d’Italie. Qu’est-il arrivé, en attendant la réalisation d’un projet qui rencontrerait vraisemblablement de vives résistances ? L’enquête promise par M. Giolitti a été