Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/747

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 741

elle en veut aux maris qui, à force de ménager la chèvre et le chou, se brouillent avec l’un et avec l’autre. Au surplus, une discrétion parfaite. Elle est vraiment le tombeau des secrets.

— Vous en avez donc beaucoup à lui confier ?

— Eh ! que sait -on ? Certaine chiromancienne n’a-t-elle pas dit que les plus honnêtes femmes ont toujours quelque chose à cacher ?

Elle ajouta avec un accent de provocation : — Cela est vrai de toutes les femmes, même de celles qui ont un confesseur ; car il y a un art de dire tout sans tout dire.

Elle avait l’air mauvais, l’air qu’elle prenait dans les jours néfastes. Elle s’appliquait visiblement à me mettre en pehre et en fureur. Il était dans son caractère de ne jamais frapper sans avoir menacé. Peut être jugeait-elle, comme les auteurs dramatiques, qu’il faut toujours préparer ses effets. La vérité est que sa droiture naturelle répugnait aux trahisons. Elle pouvait dire après l’événement : « A bon entendeur, salut ! pourquoi ne m’aviez-vous pas entendue ? »

Je ne prolongeai pas l’entretien, je lui quittai la place, et je pensais en m’en allant à ce mari qui était homme à lui passer toutes ses fantaisies, à souscrire à tous ses arrangemens et qui croyait tout réparer, tout sauver en lui témoignant une aveugle confiance. Je fus sur le point de l’avertir ; mais je me serais brouillé à jamais avec elle.

Je trouvai sur ma table un billet fort court de l’abbé Verlet, qui ne s’était pas pressé de me répondre :

a Mon cher philosophe, m’écrivait-il, l’exposition est, paraît-il, une merveille, que les curés de campagne sont eux-mêmes tenus de voir. J’ai tout lieu d’espérer qu’il me sera possible de prendre avant la fin de cette semaine deux jours de vacances, et mon premier soin, en arrivant à Paris, sera d’aviser avec vous aux moyens d’arranger votre affaire. Je serais parti déjà si je n’étais retenu par un mourant qui veut toujours m’avoir à son chevet. Comptez sur moi. Je ne pense pas, au surplus, qu’il y ait péril en la demeure. Si le salut de cette âme n’était qu’une question d’heures et de minutes, ce ne serait pas la peine qu’on se dérangeât pour sauver sa vertu, et si les philosophes ne savaient pas attendre, à quoi leur servirait leur philosophie ? »

Il me parut que cet homme de bien mettait peu d’empressement à obliger un philosophe auquel il avait offert ou, pour mieux dire, imposé ses bons offices.

— Il a le cœur chaud, me disais-je, et l’esprit libre ; mais si libéral qu’on soit, on ne perd jamais de vue les intérêts et l’honneur de sa boutique. L’abbé se console difficilement de ce qu’une dévote a failli, et peut-être ne serait- il pas fâché qu’une jeune