Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/767

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 761

À son retour de Marlotte, Monique me fit une excellente impression. Elle rapportait des croquis, des études ; elle avait beaucoup travaillé, et le travail avait apaisé son âme, rasséréné son visage. Elle ne pensait plus ni à sa mère, ni à son vicomte, et je crus qu’elle en avait fini avec les chimériques projets. Je découvris bientôt qu’elle n’avait fait qu’échanger sa folie contre une autre. Quand l’hidalgo de la Manche eut été désarçonné par le chevalier de la Blanche-Lune et dégoûté pour longtemps des aventures héroïques, il rêva de se faire berger. « Quelle vie nous allons mener ! s’écriait-il. Que de cornemuses vont résonner à nos oreilles ! Que de tambourins, de violes et de guimbardes ! » Sancho approuva sa nouvelle lubie. Je fus plus sage que Sancho, je parlai raison et fus d’abord très mal reçu.

Le facteur m’avait remis une lettre de M. Monfrin, qui ne contenait ni plainte ni reproche ; c’était un simple procès-verbal, où il constatait que sa femme l’avait quitté depuis cinq semaines déjà. 11 ajoutait que si elle se trouvait bien de son séjour à Paris, il ne tenait qu’à elle de le prolonger, mais qu’elle était avare de son écriture. Conclusion : il me priait de lui donner de ses nouvelles. Je montrai ce billet à Monique, qui me dit tranquillement :

— J’ai eu tort, j’aurais dû lui écrire de Marlotte. Je lui dois un dédommagement, il l’aura.

— Vous comptez le rejoindre avant peu ? lui demandai-je.

— Moi ! s’écria-t-elle. Y pensez-vous ? Retourner dans cette maison maudite ! me retrouver en présence de cette odieuse Anglaise qui me parlera de ma mère ! Et désormais que pourrai-jelui répondre ?.. J’ai reconquis ma liberté, je la garde.

— Et quel usage comptez-vous en faire ?

— Oh ! j’ai des plans admirables. Gela m’est venu là-bas, tout en peignant, à l’ombre des hêtres et des grands chênes, dans le voisinage de la Mare aux fées.

— Du moment que les fées ont bien voulu s’en mêler, lui dis-je, ces plans doivent être les plus sages du monde.

Elle me les exposa en détail avec un merveilleux sang-froid. Elle se proposait de rester à Paris. C’était le seul endroit où une femme qui aimait à peindre pouvait trouver des directions, des excitans et arrivera quelque chose ; partout ailleurs, on végétait, on n’avait plus de talent, la lampe se mourait. Elle s’était mis en tête de chercher un appartement dans la rue Médicis ; peut-être réussirions-nous à nous loger porte à porte. Je ne dînerais plus dans une pension bourgeoise, je ferais tous mes repas chez elle. Nous nous verrions tous les jours, et nous nous dirions tout, nos joies, nos chagrins, nos rêves, le plus souvent des douceurs, quelquefois des injures, et après nous être brouillés, nous aurions