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Peu à peu, à mesure que l’effort devenait moindre et les profits plus grands, par l’accroissement de la population qui faisait hausser les produits de la terre et baisser les salaires, les prétentions des propriétaires tendirent à s’élever ; et elles se seraient même élevées bien davantage sous l’ancien régime, si la terre défrichable n’était venue, jusqu’au bout, faire concurrence à la terre déjà cultivée. Ce phénomène de la mise en culture de superficies nouvelles, quand le prix des denrées s’élevait, et du retour à la friche de surfaces précédemment mises en valeur, quand les prix cessaient d’être rémunérateurs, s’est manifesté durant tout le cours de notre histoire.

Aux environs de Guise, dans l’Aisne, 40 muids de terre, c’est-à-dire une qualité de terre correspondant nominalement à 40 muids de semence, et effectivement à 50 muids, parce que, dans l’application de la mesure de capacité des grains aux superficies agraires, on avait calculé toujours un tiers ou un quart moins de semence que le terrain n’en comportait en réalité, — 40 muids de terre sont affermés, en 1158, pour 4 muids de froment, affermés par conséquent pour une quantité égale au douzième de la semence, soit peut-être 20 litres de froment à l’hectare. Il est, au XIIe siècle, des terres cédées pour le neuvième ou le dixième du produit, comme terrage ; la terre est louée près d’Archiac (Charente), pour le quart des fruits en 1194 ; à la même date, des vignobles sont loués en Roussillon pour la même quotité.

De 1140 à 1340 se passe, en cette dernière province, le fait suivant : le roi d’Aragon, qui en était seigneur, donne des terres aux paysans, à la condition qu’ils y plantent des oliviers, et il prend le quart des olives. Les abbés font de même, et, pour attirer du monde, au lieu du quart, ils ne prennent que le onzième des olives. Les fermiers du roi le prient alors de réduire leurs redevances à ce dernier taux, « pour que les terres tenues de lui puissent s’améliorer, et qu’il en retire des foriscapis (droits de mutation) plus considérables. » On devine par là quelle a été, du XIIe au XIVe siècle, l’émulation des propriétaires pour obtenir des exploit ans, comment la terre inculte dut se trouver, pendant quelque temps, plus offerte que demandée, et quelle baisse il dut en résulter dans le fermage, quelle transformation surtout ! De direct qu’il était, le revenu foncier devint indirect, et consista moins en prélèvemens annuels qu’en impôts éventuels sur les transmissions des immeubles.

Il y a d’ailleurs, entre toutes ces terres qui sont en route pour la civilisation, mais qui se suivent à des intervalles très éloignés, des différences énormes selon qu’elles sont plus ou moins près du