Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/941

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’établir dans l’imagination de ces peuples, il ne s’agissait que de payer d’audace et de jouer sa vie chaque jour. Monteil l’a fait. On peut maintenant aller sur ses traces.

Sollicité d’accorder un papier de libre parcours, le roi d’Argoungou promit de s’exécuter, à la condition que le tabib blanc guérirait son fils, affligé d’un mal rebelle. Le médecin improvisé ne dit pas non, mais il prit d’abord la précaution de voir le sujet. Ce jeune homme avait été grièvement brûlé à la jambe, quelques mois auparavant, par la chute d’un brasero. Pour fermer les plaies, ses serviteurs avaient imaginé de lui replier le genou et de ficeler le mollet contre la cuisse. Une adhérence s’était formée, quand le roi, venant un jour visiter son fils, avait coupé les liens et brusquement distendu le membre. On devine le piteux état des chairs après ces traitemens variés. Monteil jugea que le cas n’était pas au-dessus de sa science, et qu’on en viendrait à bout avec un peu de teinture d’iode. Il conclut le marché proposé ; chaque fois que le roi rechignait sur quelque article, le médecin menaçait de suspendre ses visites au malade. Le capitaine eut son papier et quitta Argoungou sans achever la cure. Il avoue qu’en d’autres cas, il a administré sans sourciller des pilules de la plus inoffensive homéopathie. La médecine par suggestion n’est-elle pas à la mode ? Overweg, le compagnon de Barth, mis jadis à la même épreuve, en usait encore plus librement. — « Sa manière d’opérer était assez originale, car il traitait ses cliens non d’après la nature de leurs affections, mais selon les jours de la semaine. Ainsi, il avait son jour pour le calomel, un autre pour des poudres purgatives, ou le sel de Glauber, la magnésie, la crème de tartre, et ainsi de suite. »

C’est l’attrait passionnant et c’est le péril du métier d’explorateur qu’il y faille une résolution immédiate des difficultés les plus inattendues, et, comme à Robinson dans son île, la pratique simultanée de tous les arts, de toutes les sciences. L’explorateur doit être, suivant l’heure, soldat, ingénieur, physicien, botaniste, astronome, cartographe, médecin, pharmacien, commerçant, diplomate : et un peu de prestidigitation ne lui nuit pas. Surtout il doit être psychologue, autant qu’un professionnel du roman. En cette matière, notre officier a fait ses preuves. Il avait observé de longue date la radicale incapacité des noirs à se résoudre rapidement, à choisir entre deux termes précis. Toute sa politique était fondée sur cette observation. Dans les cas périlleux, il enfermait son adversaire entre les cornes d’un dilemme, en proposant à brûle-pourpoint les deux solutions qui pouvaient lui être le plus désagréables, à lui Monteil. Par exemple, quand il se voyait menacé d’être dévalisé, puis expulsé, il disait : « Veux-tu t’emparer de