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toutes mes marchandises, ou bien que je parte sur-le-champ ? » Il savait que le noir tergiverserait, chercherait un moyen terme, et qu’on finirait par transiger pour un honnête cadeau. Le procédé m’a paru subtil : je le livre sans scrupules aux gens qui ont maille à partir avec des pouvoirs irrésolus, noirs ou blancs, au Soudan ou en Europe.

Monteil reçut un bon accueil à Sokoto, chez le Commandeur des croyans, Abd-er-Rahman-ben-Aliou. Ce prince, fort besogneux, lui retint un gros lot de marchandises, qu’il paya par une traite sur Kano. L’usage des traites d’une ville à l’autre, que l’on pourrait s’étonner de voir répandu au cœur de l’Afrique, s’explique par l’incommodité de la monnaie locale, les kourdis ou petits coquillages ; pour représenter une somme de quelques écus, il faut tout. un chargement de chameau en kourdis. Le voyageur gagna Kano par une route nouvelle, ce qui lui permit de corriger l’hydrographie des cartes de Barth, où les affluons du Niger sont inexactement portés. Sa traite était protestée ; il dut en attendre le paiement dans la grande ville manufacturière et commerçante du Soudan. Libre enfin de se diriger vers le Bornou, il sortit des États haoussa, non sans de graves inquiétudes sur la réception qu’on lui ferait dans le pays kanouri ; il venait d’apprendre qu’une mission européenne s’était vu refuser l’accès de ce pays ; était-ce, comme tout le portait à croire, celle de son camarade Mizon, qui aurait fait route de la Bénoué vers le nord ? Il sut plus tard qu’il s’agissait du major Mackintosh. Monteil, plus heureux, profita d’une escorte que lui donna son ami, le chef de Hadeijda ; après une quarantaine d’observation, et à la suite de pourparlers qui démontrèrent ses bonnes intentions, il fut admis dans le Bornou ; le 9 avril 1892, il entrait à Kouka ; il avait accompli la plus importante, sinon la plus difficile partie de son voyage, de l’Atlantique au Tchad.


II

Le royaume du Bornou, qui se développe sur la rive occidentale du lac, ne diffère guère par les conditions physiques des pays haoussa. Même climat, même fertilité du sol, même abondance de bétail. La population indigène, de race kanouri, a été subjuguée par des conquérans venus du Kanem, et auxquels Barth assignait une origine berbère. Cet État paraît plus solide, moins démembré que l’empire du Sokoto. Kouka, la capitale, entretient des relations fréquentes avec Tripoli ; on y est suffisamment instruit des choses d’Europe par les caravaniers arabes. La ville est étendue, très peuplée : Monteil estime à 40,000 ou 50,000 âmes la foule qui se pressait sur son passage, le jour de sa réception. Des cavaliers