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réunion soit définitive, sans séparation possible, afin qu’il sente mieux sa présence et qu’il la sente éternellement dans la mort. Le drame se termine par un cantique d’actions de grâces, hosanna suprême qu’Iseult, avant de mourir, entonne triomphante et dressée près du corps de Tristan : jamais l’union de la voix humaine et de l’orchestre n’a produit d’aussi ineffables accens. C’est bien la félicité de l’au-delà qu’exprime cette musique, c’est bien l’union de deux âmes affranchies de l’obstacle du corps et de la vie, frémissantes et enivrées d’une possession éternelle.

Après l’audition de deux ouvrages comme Parsifal et Tristan, on est heureux d’avoir une journée entière pour se remettre. Ce jour de repos, je l’employai délicieusement à visiter Nuremberg. Il est très doux, après les grands drames wagnériens, de pouvoir savourer les poétiques créations d’Albert Dürer. Le génie du peintre délasse merveilleusement de celui du poète-musicien.

On comprend que Wagner ait choisi Nuremberg comme « milieu » d’une action dramatique. S’il existait un musée assez vaste, la ville entière serait digne d’y figurer ; on ne trouverait pas dans tout Nuremberg un seul coin qui ne pût fournir le motif d’un très pittoresque décor. Dans l’antique cité où l’on croirait revivre en plein moyen âge se dresse, au milieu d’un parterre de roses et de résédas, le monument du poète-cordonnier Hans Sachs. Fort renommé de tout temps dans son pays, Hans Sachs doit aujourd’hui à Wagner d’être universellement connu et visité, car tous les pèlerins de Bayreuth viennent saluer le doyen des Maîtres Chanteurs de Nuremberg. Le maître d’autrefois a inspiré au maître moderne un type ravissant de délicatesse tendre et de bonhomie fine. Le milieu nurembergeois, la vie du moyen âge, la légende locale, ne sont dans l’œuvre de Wagner que le vêtement d’une idée abstraite : la lutte du génie contre la routine, de la libre inspiration contre le pédantisme. On ne trouve, dans la contexture de cette comédie lyrique, ni les arêtes puissantes, ni les escarpemens profonds qui guident le spectateur dans la compréhension d’un drame. L’intelligence du « mot, » qui n’est pas indispensable pour apprécier Parsifal et Tristan, devient nécessaire à qui veut ne rien perdre d’une action tempérée dont l’intérêt s’éparpille en détails familiers et en causeries intimes. Pour bien juger les Maîtres Chanteurs à Bayreuth, il faut posséder la langue allemande à fond. Ce n’est pas mon cas : aussi je ne considère pas mon impression comme définitive et je ne la donne que sous toute réserve et sans développemens.

L’ouvrage m’a paru contenir de nombreuses beautés, de la grâce, du charme, de la verve comique, un finale prodigieux, des