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mélodies étincelantes et « faciles à retenir, » sans parler de l’orchestration, qui est d’une opulence surprenante et parfois d’une délicatesse inouïe. Pourtant, j’ai ressenti à la représentation des Maîtres Chanteurs plus de fatigue que ne m’en ont causé les autres ouvrages de Wagner. À quoi cela tient-il ? Peut-être à une exubérance de richesses, à une surabondance d’effets. Dans cette partition très compacte, où l’on voudrait les doses plus légères, l’habileté dans le maniement des procédés techniques va jusqu’à la satiété et la science polyphonique jusqu’à la pléthore. Après l’audition des Maîtres Chanteurs, j’avais soif d’une simple mélodie populaire, chantée « sans accompagnement. »

Les Maîtres Chanteurs ont joué un rôle si important dans la vie de l’ancienne Allemagne que Wagner, jaloux de créer un art sorti des entrailles du sol, devait s’en préoccuper avec une véritable prédilection. Il les a mis en scène dans deux ouvrages écrits à un assez long intervalle l’un de l’autre. Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg ont été conçus en 1861 et achevés en 1867. Tannhäuser, commencé en 1842, était terminé en 1845, deux ans avant l’achèvement de Lohengrin. C’est le seul opéra de la jeunesse de Wagner qui ait été représenté à Bayreuth ; au point de vue du choix du sujet et de la conception poétique, c’est l’une de ses créations les plus élevées et les plus attachantes. À l’époque où il entreprit cet ouvrage, Wagner balançait encore entre l’histoire et la légende ; à partir de Tannhäuser, son choix se fixa définitivement sur les sujets légendaires. Il en explique les raisons dans l’opuscule que j’ai déjà cité : « Tout le détail nécessaire pour écrire et représenter le fait historique et ses accidens, tout le détail qu’exige, pour être parfaitement comprise, une époque spéciale et reculée de l’histoire, et que les auteurs contemporains de drames et de romans historiques déduisent pour cette raison d’une façon si circonstanciée, je pouvais le laisser de côté… La légende, à quelque époque et à quelque nation qu’elle appartienne, a l’avantage de comprendre exclusivement ce que cette époque et cette nation ont de purement humain et de le présenter sous une forme originale très saillante, et dès lors intelligible au premier coup d’œil. »

Le fond de la légende de Tannhäuser est, comme dans Parsifal, la lutte entre le mal et le bien, l’appétit et l’âme, la chair et l’esprit : les Grecs auraient pu dire entre Bacchus et Apollon ; mais, dans l’idéal antique, les deux principes antagonistes étaient conciliés, tandis que, suivant l’esprit chrétien, ils demeurent incompatibles. Dans la légende dont Wagner s’est inspiré, Tannhäuser, le fougueux maître chanteur de la Wartbourg, obéit alternativement aux deux forces contraires ; l’un d’elles l’entraîne du côté de