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l’esprit. M. Weil l’a fort bien faite, et il faut la lire dans son analyse. Voici seulement un passage du mime, qui est caractéristique :


Si, parce qu’il navigue sur un navire qui vaut 5 talens (un peu moins de 30,000 francs), dit-il ailleurs, ou parce qu’il porte un beau manteau du prix de 3 mines attiques, tandis que moi, qui vis sur la terre ferme, je n’ai qu’un surtout râpé et traîne de vieilles savates, il doit venir emmener sans mon consentement une de mes femmes, et cela pendant la nuit, c’en est fait des garanties de la cité, juges, et cette liberté, dont vous êtes fiers, la voilà détruite par Thalès ! lui qui, sachant de quelle boue il est pétri, devrait vivre comme moi dans le respect craintif du moindre des citoyens.


Ce Thalès est un exemplaire d’un type assez commun dans la comédie antique. Si l’on en croit son accusateur, il vient on ne sait d’où ; il s’appelait autrefois Artimmès ; il n’a pas de patrie (combien de fois les tribunaux grecs ont-ils retenti d’imputations analogues ! ), il habite, suivant le hasard de ses pérégrinations, un jour Abdères, un autre Bricindères (nom d’ailleurs inconnu) ; il ne sait pas ce que c’est qu’une ville civilisée, et, quand il s’arrête dans une cité riche comme celle de Cos, il y dépense grossièrement le gain de ses voyages. Le léno Battaros, de son côté, est bien le personnage comique que l’on connaît, insolent et effronté, hypocrite et brutal, d’un extérieur grossier. Il est vieux, et répond par ce trait à la description des masques qu’on lit dans Pollux :


O vieillesse ! s’écrie-t-il comiquement après le récit des violences de Thalès, qu’il t’offre un sacrifice : sans toi, il eût rendu son sang par la bouche, comme autrefois à Samos Philistos l’agréable… Tu ris ? Je suis prostituteur et ne m’en cache pas, et je m’appelle Battaros, et mon grand-père était Sisymbros, et mon père Sisymbriscos, et ils étaient tous prostituteurs ; et, quant à ma vigueur, je me ferais fort d’étrangler un lion, si le lion était Thalès.


On voit qu’il n’est pas moins impudent que vantard. Ce qui l’achève, c’est une petite scène où il prend un ton paternel pour parler à la femme qu’il présente au tribunal. Il lui tient ce langage admirable :


Approche, Myrtalé, et fais-toi voir à tout le monde. N’aie point de honte ; en voyant ces juges, pense que tu as devant les yeux des pères et des frères. Voyez, juges, comme ses cheveux ont été arrachés ; voyez en haut et en bas les places blanches faites par ce saint homme lorsqu’il l’entraînait brutalement.