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Voilà un pendant imprévu de la fameuse exhibition de Phryné par Hypéride.

Battaros termine par une péroraison noble, où il confond sa cause avec celle de tous les étrangers domiciliés et fait sentir qu’il y va de l’honneur de la ville de Cos, cette cité hospitalière entre toutes, illustrée par les souvenirs de Mérops et de sa fille Cos, de Thessalos et de son père Hercule (les habitans se disaient Héraclides), pour laquelle Esculape avait abandonné le séjour de Tricca, où Phœbé était venu mettre au monde Latone. Tel est le divin cortège dont le léno apparaît comme entouré. De même, les plaideurs réels faisaient intervenir en leur faveur les personnages les plus considérables. Ses derniers mots, qui contiennent sous forme de proverbe une injure à l’adresse de son adversaire, le ramènent au ton habituel de son éloquence.


Ces analyses et ces citations suffisent, sinon pour donner l’intelligence complète de l’art particulier d’Hérondas, du moins pour faire connaître la variété et la souplesse de son talent. Ces diminutifs de comédie, où ne manquent ni l’esprit, ni la verve, ni la gaîté, nous fournissent un intéressant exemple de la manière dont les genres peuvent se continuer en se renouvelant. Hérondas continue Théocrite ; mais, par un mouvement assez naturel, il laisse les côtés élevés ou distingués, le sentiment de la nature, la passion, la délicatesse, l’élégance, par lesquels son maître touche à la grande poésie ; il s’attache aux côtés familiers et vulgaires, qui paraissent avoir dominé dans les premières œuvres du genre, celles de Sophron, et c’est là qu’il cherche et trouve son originalité. Il est à remarquer que ces productions tardives de la poésie grecque, déjà fatiguée et appauvrie, étaient encore douées d’une vitalité remarquable. De la Grèce asiatique elles passèrent à Rome, où il est question de mimïambes écrits par Cn. Matius, contemporain de César, et par Vergilius Romanus, contemporain de Pline. Mais, à Rome, ce n’est pas cette variété particulière du mime qu’on appelle mimïambe, c’est le mime proprement dit, transmis d’abord par la Sicile et la Grande-Grèce, qui est florissant et fécond. M. Rutherford croit que les pièces d’Hérondas ont été représentées, ce qui est fort invraisemblable ; il est très certain qu’à Rome le mime s’empare de bonne heure de la scène ; il y passionne le public, et, sous sa forme la plus populaire, il obtient encore, au IIIe siècle après Jésus-Christ, un succès qui offense la chasteté chrétienne et fournit des armes à Tertullien. L’étude du mime à Rome est un vaste et curieux sujet qui appartient à la fois à l’histoire littéraire et à l’histoire des mœurs et de la religion.


JULES GIRARD.