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les critiques et qui, au surplus, ne mérite pas les sévérités fréquentes de Castagnary : « Ah ! monsieur Français, si la nature vous avait pris pour unique confident, comme nous serions trompés sur son compte et comme nous la connaîtrions mal ! » Même familiarité quelque peu pédante avec M. Lombard : « Mon ami Lombard, si vous voulez devenir un vrai peintre, il faut fermer vos livres. » À l’exemple du maître, Castagnary se lance, dès qu’il y voit jour, dans la littérature et la philosophie, sans autre objet qu’elles-mêmes. Il décrit le printemps, il fait la psychologie du caniche ; il raconte de petites histoires ; il aligne des morceaux de facture. Diderot trouvait qu’un tableau de Greuze « prêchait la population ; » en 1874, dans les Champs au mois de juin, de Daubigny, et après le couplet obligé sur la moisson : « Messidor a jauni la plaine, » etc., Castagnary voit « une apologie de l’agriculture » et une promesse de revanche : « Vanter la fécondité de la terre française, après nos 5 milliards payés, ajoute-t-il, c’est un trait de patriotisme. » J’ai dit que, romantique en littérature, Castagnary prenait souvent le bon du romantisme ; il lui arrive aussi de lui emprunter quelques-uns de ses procédés les plus factices, comme l’apostrophe emphatique : « Passez, têtes étranges et sublimes, que j’ai parfois rencontrées, Tasses mélancoliques, Hamlets mystérieux ; passez, groupes lumineux ou farouches, » etc. Ou bien encore : « Jeunesse ! jeunesse ! ta voix est celle de la sirène… » Ces façons de dire dataient déjà au temps de Castagnary. Ce qui date encore plus, ce sont des métaphores comme celle-ci, délaissée depuis Fontanes : « Puisqu’une couronne se trouve dans mes mains et que des voix me crient : Au plus digne ! pourquoi ne la jetterais-je pas à celui qui la mérite entre tous ? » Par une amusante ironie des mots, il décerne ce laurier classique « au maître » Théodore Rousseau, et il dit après cela : « J’ignore l’art de fleurir de métaphores un simple procès-verbal. »

De là, de pur pathos, surtout lorsque son désir de « bien écrire » se complique de philosophie. Quelques-unes des phrases les moins claires et les plus lourdes qu’ait produites notre temps sont de lui ; là où il y en a le plus, c’est naturellement dans sa Philosophie du Salon de 1857 ; mais comme il n’est jamais parvenu à élucider complètement ses idées esthétiques, comme il en reprend chaque année l’exposition, autant pour les comprendre lui-même, semble-t-il, que pour les faire comprendre au public, ce patois doctrinaire ne cesse d’empâter son style. En pareil cas, abondant et sec, long à se mettre en train, luttant contre l’à-peu-près de sa terminologie, il se répète à l’infini et il réunit trop souvent ce qu’il y a de plus déplaisant en littérature, la banalité du fond et la