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prétention de la forme, l’incertitude de la pensée et l’assurance du ton.


II

Dans ces théories, flottantes et étroites, indécises et absolues, il y a nécessairement deux parties : l’une d’affirmation, l’autre de négation. En art, Castagnary veut hâter la fin d’un ordre de choses et l’avènement d’un autre.

Il aime, disais-je, la France, sa terre et son ciel ; cependant, il ne va pas jusqu’à l’aimer dans son passé, et nul n’a été aussi sévère que lui pour notre peinture nationale. Sur ce point, il n’a jamais varié. En 1859, il estime que cette peinture « n’est pas faite à l’image de la société française, mais des peuples disparus, » qu’elle ne porte pas « l’empreinte de sa grâce lumineuse, de son esprit lucide, pénétrant et clair. » En 1865, il écrit avec plus d’assurance encore : « Ne craignons pas de l’avouer, nous n’avons jamais eu, en France, de peinture française. » La cause, suivant lui, c’est qu’au moment où une peinture nationale naissait dans notre pays, au XVIe siècle, l’influence italienne vint la « tuer net » et nous imposer « un art de seconde main. » Aussi nos meilleurs peintres ne nous appartiennent-ils qu’à moitié : « Est-ce que Nicolas Poussin, Claude Gelée, sont Français ? Ils ne le sont ni par la tournure de leur esprit, ni par le choix de leur patrie adoptive. » Dans la suite de l’École française, Castagnary ne retient, comme interprètes de l’originalité nationale, que les frères Lenain, Watteau et Chardin. Aussi voudrait-il détourner notre peinture d’une route funeste, et il n’admet la tradition que dans « la période d’apprentissage. » Il a horreur de l’idéal ; il le trouve « particulièrement odieux, » il voudrait en faire « un objet d’exécration permanente pour tous les amis du progrès. » Il ne veut pas de peinture religieuse ou mythologique, car, si elle a eu sa raison d’être, elle l’a perdue. Il le défend donc aux artistes, avec quelque hauteur : « Est-ce que nos artistes se mettraient à recomposer un art religieux au moment où nous prêchons que l’art religieux est mort ? Ce serait curieux. » Il ne veut pas de l’allégorie, parce qu’elle ressuscite vainement a des mythes écoulés et des époques disparues. » Il ne veut pas de la fantaisie, parce que c’est la « substitution arbitraire de la sentimentalité du peintre à la sereine et impartiale objectivité des choses, » et il ajoute : « En quoi nous intéresseraient, je vous prie, les imaginations personnelles d’un homme dont voir est la faculté dominante et dont, par conséquent,