Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perspective rendait Castagnary lyrique : « La réalité s’avance lentement, mais sûrement. Avant peu d’années, elle aura envahi tout le domaine de l’art, sera à elle seule toute la peinture des peuples renouvelés. » La devise de cette nouvelle peinture devait être : « Peindre ce qui est, au moment où on le voit. »

On aura remarqué que Castagnary se sert tour à tour des deux mots : réalisme et naturalisme, mais le second finit par lui sembler préférable, comme plus expressif et plus exact. Il n’a pas mis moins de onze ans à se décider pour celui-ci, car c’est en 1868 qu’il écrivait : « Le mot naturalisme, dont je me sers pour définir les tendances actuelles, n’est pas nouveau dans l’histoire de l’art, et c’est une des raisons qui me le font préférer au mot réalisme. » S’il en avait d’autres, il ne les disait pas ; peut-être, cependant, ceci en était-il une : « Le naturalisme, qui accepte toutes les réalités du monde visible et en même temps toutes les manières de comprendre ces réalités, est précisément le contraire d’une école. Loin de tracer une limite, il accepte les barrières. » Cette distinction est parfaitement arbitraire ; réalisme et naturalisme, c’est tout un, et Castagnary n’a pas essayé de justifier par d’autres argumens la force libératrice qu’il attribue au second de ces mots.

Grâce au naturalisme, donc, puisque voici désormais le titre officiel de la doctrine, le temps présent pourra laisser son image à l’avenir ; sans lui, rien de nous ne serait resté. « Ainsi, s’écriait le critique en 1857, notre société passera, et nos passions, nos tourmens, et nos fièvres, et notre révolution immortelle, sans avoir même fait luire un rayon sur le front obtus de nos peintres ; et de tout ce que nous voyons, de tout ce que nous savons, de tout ce que nous sentons, il n’en demeurera d’autre trace que quelques bouquets d’arbre au bord d’un ruisseau, ou quelque scène rustique dans un coin de paysage ! » D’après lui, en effet, le paysage est un genre que le naturalisme doit revendiquer comme sien. Si l’on s’est trompé sur ses origines, il n’hésite pas, lui, à reprendre le bien usurpé : « Il est temps d’arracher à l’école romantique ce beau fleuron du paysage moderne, qui nous appartient, et dont elle s’est toujours fait gloire à notre détriment. » Pour établir le droit du réalisme à cette reprise, il retrace, comme il l’entend, les origines de l’école paysagiste : il déclare qu’elle est sortie, comme les romans champêtres de George Sand, d’une réaction contre le romantisme.

Dans cet ensemble d’affirmations, exacte contre-partie des négations énumérées plus haut, une part est à retenir comme vraie ; mais en provoquant le regret de la vérité qu’elle exprime,