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l’autre est encore moins acceptable que les négations correspondantes.

Que le genre se soit développé au détriment de la peinture religieuse et de la peinture d’histoire, cela est vrai ; mais il s’en faut que ce soit un bien. Cette substitution de la peinture de chevalet à la peinture décorative et murale, du tableau de musée ou d’appartement au tableau compris dans un ensemble architectural, dénoterait plutôt une décadence qu’un progrès. Si le mouvement réaliste avait eu pour résultat principal de rendre désormais impossibles de grandes œuvres, comme les peintures de Delacroix au Luxembourg et à la chambre des députés, il faudrait le déplorer. Heureusement, la victoire du genre n’était pas aussi complète que le disait Castagnary. Il est certain que, délaissant la peinture où la force créatrice est indispensable, surtout la peinture de grande dimension, les peintres s’attachaient aux tableaux petits ou moyens, copiés sur la réalité journalière. Cela ne tenait pas seulement à l’affaiblissement des idées religieuses et monarchiques, car elles ne sont pas les seules qui demandent à l’art leur exaltation : les idées de liberté ne sont pas une inspiration moins favorable pour la représentation artistique. Si donc les peintres ne peignaient plus de grandes toiles, c’est que les transformations de la société, plutôt économiques que politiques, privaient d’acheteurs cette sorte de peinture et ne lui en laissaient plus qu’un trop intermittent, l’État. On ne construisait plus de grands édifices où l’art eût une part prépondérante, plus d’églises ni de palais, mais des gares, des halles, des ponts, et l’on n’admettait pas encore, bien à tort, que, là aussi, l’art pût avoir sa place, à la condition de s’adapter à des conditions nouvelles. Est-ce à dire que le goût de la grande peinture eût disparu chez les peintres ? Alors comme toujours, le premier désir d’un véritable artiste était de couvrir de vastes surfaces. On le vit bien lorsque, en 1873, M. de Chennevières conçut un des trop rares projets d’ensemble qu’ait provoqués de notre temps l’action de l’État en matière d’art, la décoration picturale du Panthéon. Conséquent avec lui-même, Castagnary ne voulait pas de cette décoration et il l’attaquait vivement, mais les peintres briguaient avec empressement l’honneur d’y participer. Un des chefs de l’école réaliste, Millet, était de ceux-là et, si la mort ne lui a pas laissé le temps d’exécuter sa part, il l’avait reçue avec reconnaissance. Les grandes réputations artistiques continuaient à s’établir sur des œuvres de grande décoration ou d’histoire ; ainsi pour Flandrin et Baudry, dont les principaux titres sont à Saint-Germain des Prés et à l’Opéra, pour M. Puvis de Chavannes, qui se vouait presque exclusivement à la peinture murale. Même dans la peinture du