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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/163

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fût pas une inconséquence dangereuse. » Il prophétisait vrai, le pauvre roi ! En août 1789, Beaumarchais sera officiellement chargé par le maire de Paris de surveiller la démolition de cette Bastille dont Figaro avait sonné l’assaut dix ans auparavant, dans le cabinet intérieur du roi.

Mais sa majesté s’est rassise et Mme Campan reprend : « …Et pendant qu’on fermait la porte de mon libraire, on m’ouvrit celle de la Bastille, où je fus fort bien reçu en faveur de la recommandation qui m’y attirait. J’y fus logé, nourri, pendant six mois, sans payer auberge ni loyer, avec une grande épargne de mes habits, et à le bien prendre, cette retraite économique est le produit le plus net que m’ait valu la littérature. Mais comme il n’y a ni bien ni mal éternel, j’en sortis à l’avènement d’un ministre qui s’était fait donner la liste et les causes de toutes les détentions, au nombre desquelles il trouva la mienne un tant soit peu légère. » Certes, l’explication de Figaro n’était pas faite pour atténuer sa première impertinence. Mais, quoi ! Non content de prendre la Bastille en idée, il s’en prenait aussi à l’archevêché. Écoutez : « Une autre fois, je fis une tragédie ; la scène était au sérail. Comme bon chrétien, l’on sent bien que je ne pus m’empêcher de dire un peu de mal de la religion des Turcs. À l’instant, l’envoyé de Tripoli fut se plaindre au ministre des affaires étrangères que je me donnais dans mes écrits des libertés qui offensaient la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, l’Egypte, les royaumes de Barca, Tripoli, Alger et Maroc et toute la côte d’Afrique, et ma tragédie fut arrêtée à la police de Paris, par égard pour les princes mahométans, lesquels nous font esclaves et nous exhortant au travail du geste et de la voix, nous meurtrissent l’omoplate, en nous disant chien de chrétien. Et ma pièce ne fut pas jouée. Pour me consoler et surtout pour vivre, je m’amusai à en composer une autre où je dépeignis de mon mieux la destruction du culte des Bardes et Druides et de leurs vaines cérémonies. Il n’y a point d’envoyé de ces nations, qui n’existent plus, me dis-je, et pour le coup ma pièce n’aura rien à démêler avec le ministère et les comédiens la joueront, et j’aurai de l’argent, car le neuvième de la recette m’appartient ; mais je n’avais pas aperçu le venin caché dans mon ouvrage, et les allusions qu’on pouvait faire des erreurs d’un culte faux aux vérités révélées d’une religion véritable. Un officier d’église, à hausse-col de linon, s’en aperçut fort bien, pour moi, me dénonça comme impie, eut un prieuré, et ma pièce fut arrêtée à la troisième représentation par le bishop diocésain ; et les comédiens, en faisant mon décompte, trouvèrent au résultat que, pour mon neuvième de profit, je redevais cent