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douze livres à la troupe, à prendre sur la première pièce que je donnerais, et que le bishop laisserait jouer. » Un officier d’église à hausse-col de linon, c’était bien joli, mais était-ce de quoi faire passer le bishop ? Nous savons maintenant pourquoi l’auteur du Mariage de Figaro écrira dans sa préface : « On me faisait des ennemis jusque sur le prie-Dieu des oratoires. » Franchement c’était de bonne guerre, et si Beaumarchais est fondé à rappeler à ce propos les démêlés de l’auteur de Tartuffe avec les dévots, il faut convenir qu’il avait tout fait pour les ressusciter et pour être comparé, à son tour, à « un démon vêtu de chair. »

Rappelons d’ailleurs que, contre la noblesse, notre Figaro inédit avait poussé sa pointe aussi hardiment que contre le bon plaisir du roi et les censures du clergé. La preuve en est dans un autre fragment qui se rapporte au dénoûment de la pièce. Quand le comte se croit trahi par la comtesse et pour Figaro, qui même lui tient tête un moment, il le menace des dernières violences. Brid’oison alors, fort gravement, prenait position entre eux, tout comme fera d’Épresménil, au nom des légistes du temps jadis, entre le pouvoir aux abois et le tiers-état en insurrection. Et le comte avait beau l’appeler Maudit bavard ès lois, et lui réclamer non son avis, mais son concours, le magistrat tenait bon et refusait d’accorder l’un sans l’autre, ne fût-ce que pour la…a foorme. C’était grave. Mais ce qui l’était bien davantage, c’est cette apostrophe d’Antonio au comte berné : « L’y a parguenne une bonne providence, vous en avez tant fait dans le pays, qu’il faut ben aussi qu’à votre tour… » qui était accueillie en ces termes par la foule obscure des serfs de M. le comte : « Tous les paysans l’un après l’autre, d’un ton bas et comme un murmure général : « Il a raison, bien fait, c’est juste, il a raison, etc., etc. » Bonaparte n’avait-il pas raison, et plus qu’il ne pensait, quand il disait : Le Mariage de Figaro, c’est déjà la révolution en action ?

Après avoir frondé le roi, le clergé et la noblesse, c’est-à-dire toutes les vieilles puissances, il ne restait plus à Figaro qu’à s’attaquer à la plus nouvelle de toutes, à celle qui règne encore, à la presse, et il n’y a pas manqué. Nous lisons, en effet, dans notre monologue inédit : « Je fus remis en liberté. Je ne savais point faire de souliers, je courus acheter de l’encre à la Petite-Vertu. Je taillai de nouveau ma plume et je demandai à chacun de quoi il était question maintenant : l’on m’assura qu’il s’était établi depuis mon absence un système de liberté générale sur la vente de toutes les productions, qui s’étendait jusqu’à celles de la plume, et que je pouvais désormais écrire tout ce qui me plairait, pourvu