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nous sépare, moi, petit homme (ometto) privé de toute dignité, et vous, qui êtes au sommet de la dignité humaine, couronné, pour ainsi dire, d’une auréole divine. Abaissez-vous, pour un moment, à écouter ma faible voix ; peut-être les mots qu’elle articulera vous révèleront-ils des vérités qui vous étaient cachées. Entre toutes les infériorités que j’ai sur votre sainteté, en un seul point j’ai un avantage sur elle : c’est que personne ne me flatte et qu’elle, tant de gens veulent la flatter ! »

Ainsi commence la Lettre ouverte de l’onorevole Bonghi au souverain pontife. Elle est, on le voit, d’un tour tout à la fois respectueux et familier. M. Bonghi raconte au pape ses affaires ; qu’il n’a pas été réélu, que lorsqu’il va à Anagni, où il a fondé un collège pour les filles orphelines des maîtres élémentaires, dans ce pays où tout le monde le salue, les ecclésiastiques ne lui rendent même pas son salut. D’ailleurs, il sait à quoi s’en prendre ; l’éducation ne vaut pas mieux que l’instruction dans les séminaires italiens, et l’instruction n’y vaut rien. Qu’a fait, depuis quinze ans qu’il règne, Léon XIII, pour y remédier ? Il a ressuscité la philosophie de saint Thomas. Mais M. Bonghi goûte peu saint Thomas : « Il bourre et ne secoue pas. Nutre, non muove. » Puis M. Bonghi passe à une autre chose, court sur une autre corde ; c’est une vraie gymnastique que de le suivre. On a mis à l’index sa Vie de Jésus à lui, Bonghi. Enfin, il en arrive à l’éternelle question, au rétablissement du pouvoir temporel, non sans avoir complimenté le pape sur « son latin si magnifique qu’il n’en connaît pas de plus beau, sauf l’humble langue de l’Évangile. » Rome prise, mais non cédée, c’est la blessure toujours saignante au flanc de l’Italie royale. Le conflit est resté ouvert, et par la faute de qui ? Par la faute des jésuites : M. Bonghi les dénonce au saint-père : « Aux premiers jours de votre pontificat, on disait que votre sainteté n’aimait point cette secte et ne se laisserait pas prendre dans ses filets ; mais, à la longue, elle est devenue plus forte que vous, et vous faites la politique que les jésuites vous conseillent. »

Ce que peut être cette politique, est-ce la peine de le demander ? En ce qui concerne l’Italie, elle consiste à réclamer plus que jamais la restitution du pouvoir temporel et à tenir les catholiques éloignés de la vie publique. « Une pareille politique ne saurait être inspirée par Dieu qu’à la condition que la raison humaine ne fût pas un don de Dieu, puisque, pour qui raisonne, elle n’est acceptable en aucune de ses deux parties. »

Elle n’est pas raisonnablement acceptable, mais, d’ailleurs, est-elle désirée autre part qu’au Vatican même et, enfin, est-elle possible ? « Le pouvoir temporel, saint-père, mais Seigneur !