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foule-les dans la boue des rues. » Ainsi, couvrant, embrasant tout l’être de l’homme, surgit impérieusement la flamme nue et blanche de la volonté. Des attentes et des détentes de la volonté, voilà ce que l’on sent au fond de cette âme brûlante et sèche qui souffle à travers la Bible. Rien d’étonnant que ce tressaillement du vouloir tende ou fasse frémir la voix, tour à tour l’exalte et la fléchisse, produise le rythme héroïque et bref dont vibrent les chants de victoire et de malédiction et qu’à travers la traduction nous entendons encore dans ce cantique de Déborah, dont la passion, lancée tout droit comme une flèche, ne tremble que par son excès de force et de vitesse : « Alors a été rompue la corne des pieds des chevaux par le battement des pieds, par le battement, dis-je, des pieds de ses puissans chevaux. Maudissez Mérog, a dit l’ange de l’Éternel, maudissez, maudissez ses habitans, car ils ne sont point venus au secours de l’Éternel, au secours de l’Éternel avec les forts. Bénie soit, par-dessus toutes les femmes, Jahel, femme de Héber, Kénien ; qu’elle soit bénie par-dessus toutes les femmes qui se tiennent dans les tentes ! Il a demandé de l’eau, elle lui a donné du lait ; elle lui a présenté de la crème dans la coupe des magnifiques. Elle a avancé sa main gauche au clou, et sa main droite au marteau des ouvriers ; elle a frappé Sisera et lui a fendu la tête ; elle a transpercé et traversé ses tempes. Il s’est courbé entre les pieds de Jahel ; il est tombé, il a été étendu entre les pieds de Jahel ; il s’est courbé, il est tombé, et au lieu où il s’est courbé, il est tombé, là, tout défiguré. La mère de Sisera regardait par la fenêtre et s’écriait : — Pourquoi son char tarde-t-il à venir ? Pourquoi ses chariots vont-ils si lentement ? Et les plus sages de ses dames lui ont répondu, et elle aussi se répondait à soi-même : — Ils partagent le butin, une fille, deux filles à chacun par tête. Le butin des vêtemens de couleur est à Sisera, le butin de couleurs de broderies ; couleur de broderie à deux endroits autour du cou de ceux du butin. — Qu’ainsi périssent, ô Éternel, tous tes ennemis ; et que ceux qui t’aiment soient comme le soleil quand il sort en sa force ! » Quelle fin que ce dernier verset ! Quelle passion sauvage, retenue, comprimée, éclatant soudain, jaillissant par-dessus tout comme une victorieuse fanfare de cuivre !

Qu’est-il resté de cette âme lyrique des ancêtres d’Israël ? — A-t-elle complètement péri au cours de cette expérience extraordinaire, prolongée pendant dix-huit siècles, à laquelle la nature l’a soumise, la dispersant à tous les vents, l’isolant au milieu des nations, parmi les tourbillons divers d’idées et de sentimens qui semblaient devoir la dissoudre et la reconstruire suivant leur propre forme, essayant de l’user par les chocs répétés, par les attaques de toutes espèces, de l’anémier par la vie sédentaire et