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suis écoulé comme de l’eau, et tous mes os sont disjoints, mon cœur s’est fondu dans mes entrailles ! » Dans cet abattement de l’âme, tout le corps se défait, s’affaisse comme sous le poids d’un monde : « Éternel ! toutes tes vagues et toutes tes eaux ont passé sur moi[1]. Ma vigueur est desséchée comme un test et ma langue tient à mon palais, et tu m’as mis dans la poussière de la mort ! » Revienne l’onde vivifiante, et son cœur s’égaie, saute de joie et d’espoir au dedans de lui. — De toutes les sensations, ce sont là les plus élémentaires de toutes ; celles qui font rire et pleurer un enfant. Au-dessous des reflets mobiles que le monde jette sur nous, elles forment le fond le plus intime de nous-mêmes, elles composent notre caractère, notre personnalité reconnaissable, notre tempérament, vaillant ou mou. Certainement elles sont presque toujours causées par le contact du dehors, mais elles nous atteignent trop profondément pour nous renseigner sur les choses du dehors. Elles ne s’ordonnent pas en perceptions ; elles restent au dedans de nous, elles s’y fondent en émotions, émotions simples comme elle, de vouloir, de courage, de haine, de désir, de toutes les plus familières aux poètes bibliques, senties par eux, avec une intensité, exprimées avec une ardeur incomparable. Ce sont des frissons qui les traversent, des secousses nerveuses qui leur arrachent des cris lyriques : « Mon âme ! pourquoi frémis-tu au dedans de moi ? » Leurs exclamations d’impatience trahissent une surcharge d’énergie qui s’est accumulée, qui couve, qui jette déjà des étincelles irritées, qui, au moindre contact, éclatera comme la foudre : « Mon âme a soif de Dieu, du Dieu fort, ma chair le souhaite en cette terre déserte altérée et sans eau. » — Ces émotions remuent en l’homme jusqu’à l’arrière-fond animal. Pour comprendre un mot comme celui-ci : « Mes reins se sont fondus d’attente au dedans de moi, » il faut songer à la panthère tombant en arrêt devant sa proie, immobilisée soudain dans sa marche, coulée dans les herbes, ses yeux dilatés comme deux flammes fixes, rien au dehors ne révélant son attente et le bond qu’elle va faire, que le tremblement imperceptible de son échine. Mêmes cris de fauve, même passion frénétique et profonde quand ils haïssent ; ils se vengent avec délectation. Le juste se réjouira quand il aura la vengeance : il lavera ses pieds au sang du méchant. « O Dieu ! brise leurs dents de leur bouche ! Brise les dents mâchelières des lionceaux. Qu’ils s’écoulent comme de l’eau ! Qu’ils se fondent ! Qu’ils s’en aillent comme un limaçon[2] ! Brise-les menus comme la poussière que le vent disperse,

  1. Psaume 42.
  2. Psaume 58.