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politique, toutefois, qu’il convient d’attribuer cette réaction qu’à un facteur purement mécanique, les réalisations quotidiennes de la Caisse des dépôts et consignations.

Quelques spéculateurs ont dit que le nouveau ministre des finances, M. Peytral, n’était pas persona grata à la Bourse, où l’on avait conservé le souvenir de sa campagne pour l’impôt sur le revenu. Mais on ne vend pas de rentes sur des raisons de sentiment, ou, si le cas vient à se produire, des ventes de ce genre ne font sur les cours qu’une impression très fugitive. Les ventes de la Caisse des dépôts constituent au contraire un élément permanent de faiblesse. Le marché les a pendant plusieurs semaines supportées sans broncher. Aujourd’hui leur action semble devenue plus sensible.

Les retraits de fonds aux caisses d’épargne ont encore dépassé les apports nouveaux d’environ 15 millions de francs pendant les premiers dix jours d’avril, et, dans ce montant, la caisse d’épargne de Paris figure pour 600,000 francs. L’excédent des retraits depuis le 1er janvier dernier atteint 175 millions de francs pour les caisses d’épargne ordinaires et il est probable qu’il dépasse 40 millions pour la caisse d’épargne postale. On ne peut tirer de ce phénomène aucun argument défavorable contre les caisses d’épargne. Au contraire, on voit l’institution, après avoir dévié longtemps, sous l’influence de causes diverses, de son véritable objet, se corriger en quelque sorte d’elle-même sous l’action d’une seule cause, l’abaissement du taux de l’intérêt servi aux dépôts. Alors que l’intérêt dépassait 3 1/2, un grand nombre de petits ou moyens capitalistes ont porté aux caisses leurs fonds disponibles jusqu’aux limites du maximum, fixé à 2,000 francs. Peu à peu, les caisses devenaient de simples banques de dépôt, offrant à leur clientèle des avantages exceptionnels ; de là ce succès si grand, excessif, et cet afflux de fonds par centaines de millions pendant plusieurs années. Mais, aujourd’hui, l’intérêt servi ne dépasse plus, et même n’atteint pas tout à fait, celui que donnent la rente et plusieurs autres valeurs similaires. Les titulaires des plus forts dépôts ont dès lors calculé qu’il leur serait plus avantageux de placer eux-mêmes directement leurs fonds que de les laisser aux caisses ; chacun d’eux retire donc, soit la totalité de son dépôt, soit la plus forte partie, une somme variant de 1,000 à 1,500 francs. Les petits déposans qui n’ont pas les mêmes préoccupations de placement et à qui importe peu le taux d’intérêt servi, à cause de la modicité du capital, continuent d’ajouter lentement à leur pécule par l’apport de petites sommes, et la caisse d’épargne se trouve rendue ainsi tout naturellement à sa véritable destinée. Seulement, les cinq cents caisses, dans ce double mouvement, n’ont reçu, du 1er au 10 avril, que 3 millions de petits dépôts, tandis qu’elles ont eu à restituer 18 millions sur les dépôts plus importans auxquels elles avaient indûment donné abri.