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vivans d’un homme d’esprit, et, quand il sort, toujours coiffé d’un chapeau de soie, le dernier de Vicence, assure-t-il. Ce soir, il préside la table, assis à l’un des bouts. Il prend part à la conversation, même en limant ses billets.

Quelqu’un prononce, au hasard, le nom de Bædeker.

— Ah ! oui, le guide qui apprend si bien à traiter avec les gondoliers !

Et alors, il récite de mémoire, très sérieusement, ce passage exquis, en effet, du livre allemand : — « On lui dit (au gondolier) ce qu’on veut payer, en expliquant, au besoin, le nombre par des signes. S’il n’a pas l’air de vouloir s’accommoder des prix habituels, on s’en va sans plus de façon. Pour les courses à l’heure, on tire sa montre en disant : all’ ora. »

— Monsieur le sénateur, vous êtes, je crois, officier des Saints Maurice et Lazare ?

— Et grand officier de la couronne d’Italie.

— Vous n’avez pas d’insignes ?

— Mais non. Ma boutonnière est muette, et ma carte de visite aussi. Vous qui parlez si volontiers de l’amour-propre italien ! Nous ne portons pas nos décorations. Même à la cour, dans les réceptions ordinaires, les ordres nationaux ne s’exhibent pas.

— La distinction est de n’en pas porter, ajoute Fogazzaro.

Nous causons du sénat.

— Monsieur, me dit M. L., je considère comme un bien, pour mon pays, que ni les sénateurs, ni les députés, ne reçoivent de traitement. Nous n’avons d’autre avantage que le parcours gratuit sur les chemins de fer. Pour si peu, nous risquons moins de voir la politique devenir un métier. Il faut une certaine situation déjà, pour briguer une candidature, ou pour appartenir à l’une de ces catégories dans lesquelles le roi nomme les sénateurs. Et, le titre conquis, notre vie n’en est pas entièrement changée. Les avocats restent avocats, les médecins font toujours un peu de clientèle, les professeurs professent.

— Oui, le sénat est à Rome, mais les sénateurs sont en province.

— Pas tout à fait. Il est certain que le nombre des présens n’est point aussi considérable qu’avec un autre système. Au sénat surtout, il ne représente habituellement qu’une minorité variable, qui grossit aux rares jours d’orage, et s’amincit par les temps calmes. Cela n’est pas sans inconvéniens, mais quels sérieux avantages, en revanche ! Nous ne subissons pas l’influence prolongée des milieux politiques, dont vous avez raison de vous plaindre, en France. Moins éprouvés par le climat parlementaire, nous demeurons en contact fréquent avec les populations. Nous savons