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les gens du monde surtout, un sentiment d’orgueil et d’indépendance très profonds. »

Or, tous ceux qui me parlaient de la sorte étaient des partisans de l’unité italienne. Ils me le faisaient observer, et ils ajoutaient que, si l’unité politique est une bonne chose, les nuances de vie et d’humeur, les traditions locales, la dignité du municipe en sont une autre.


— Ce soir, j’errais dans un vieux quartier de Bologne. La rue était étroite entre deux rangs d’arcades sombres, où les promeneurs passaient invisibles. Je suivais la raie de lumière. À un détour, j’entends des cris. Une sorte de bandit déguenillé, en chapeau pointu, sort d’un vicolo, traînant un enfant qui résiste et crie au secours ! Soccorso ! soccorso ! Il est tragique, le petit. Il a les bras étendus, la tête vers la galerie noire où il a vu des ombres se mouvoir. Ses yeux luisent, agrandis par la peur : Soccorso ! soccorso ! L’homme l’entraîne. Au bout d’une trentaine de mètres, la lutte continuant, une demi-douzaine de gens du peuple sont sortis je ne sais d’où, et ont paru sur la chaussée. L’un d’eux, que son manteau couvrait des épaules aux pieds, a saisi le bras libre de l’enfant, et, avec beaucoup de sang-froid, bien que sa bouche eût un frémissement de colère, il a dit au vaurien qui emmenait le petit : « Arrête-toi, et explique-toi. » L’autre l’a regardé en dessous, une demi-minute, sans rien dire. Puis, sentant qu’il n’était pas de force, il a commencé une espèce de plaidoirie. Après trois ou quatre phrases, l’homme au manteau a tiré l’enfant à lui, et l’a mis en liberté. Le petit s’est sauvé à toutes jambes, fou de terreur. Les deux hommes se sont de nouveau regardés, puis se sont écartés, l’un de l’autre.

En France, nous aurions commencé par arracher l’enfant à l’oppresseur, au nom des immortels principes. Et, presque sûrement, les hommes se seraient ensuite battus, sans explication.


— Elle est curieuse, l’histoire de cette église de Saint-François, qui sera bientôt, la restauration achevée, l’un des plus purs exemplaires du style gothique italien. Je la connaissais bien, quoique les guides ne la mentionnent pas. Un de mes amis bolonais me l’avait fait visiter avec amour. Un autre m’y ramène, pour me montrer le progrès des travaux. Il me raconte, devant la façade de briques rouges, aux fenêtres encore bouchées, par quelle série d’aventures a passé le monument. Les Français de la révolution, vers 1796, en firent une douane. Même après la chute de l’empire, la profanation subsista, et ce ne fut qu’en 1840 que le pape Grégoire XVI, —