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qui gouvernait Bologne par un de ses légats, — fit restituer l’église aux franciscains mineurs conventuels. Ceux-ci entreprirent de la rouvrir, mais le goût très peu sûr des architectes du temps la rendit méconnaissable. Les colonnes furent chargées d’énormes revêtemens, d’affreuses chapelles en brisèrent les lignes, des peintures à la manière d’Épinal achevèrent de lui donner un air de grange enluminée. Le général Cialdini fut peut-être frappé de cette ressemblance, car, en 1866, il s’empara de l’église, et déclara qu’elle lui servirait de magasin militaire. Et elle demeura ainsi, lamentablement réparée, abandonnée violemment, chose oubliée, jusqu’en ces dernières années. Mais Bologne a ses artistes jaloux de l’honneur de leur ville. Quelques-uns parmi ses citoyens les plus distingués, le jeune comte Nerio Malvezzi, le comte Joseph Grabinski, M. Alfonso Rubbiani, entamèrent des négociations pour sauver et rendre au culte le pauvre édifice. Ils avaient de grands projets, et, chose digne d’être notée, ils furent tout de suite encouragés par un mouvement d’opinion. Après de longs efforts, ils parvinrent à obtenir que l’église Saint-François serait cédée à la municipalité de Bologne, qui en fit hommage, à son tour, au cardinal-archevêque. Alors, en 1886, les travaux de restauration commencèrent. On avait retrouvé les plans anciens. On voulait rétablir l’église dans sa belle harmonie d’autrefois. Il fallait démolir des chapelles, dégager les colonnes, gratter les murailles, refaire des fenêtres, placer des vitraux. Ce furent de simples particuliers, ceux que j’ai nommés et quelques autres, qui s’en chargèrent. Ils ont jusqu’à présent dépensé plus de 100,000 francs, donnés par des citoyens riches de Bologne. En 1888, la reine Marguerite, s’étant vivement intéressée à leur œuvre, obtint du gouvernement un secours de 20,000 francs. Aussitôt, les parrains de Saint-François achetèrent et firent démolir les vieux bâtimens des messageries, qui gâtaient un côté de l’abside. Et ils découvrirent, réparèrent, mirent en belle place, au bord de la rue, trois tombeaux merveilleux, à colonnettes précieuses, trouvés à demi détruits : ceux de trois grands glossateurs bolonais, Accurse, Odofredo et Rolandino de’ Romanzi. J’ai pénétré dans le chantier où des ouvriers achevaient de restaurer les chapiteaux si finement dessinés d’une des tombes. J’entends encore le ton ému de mon ami, disant aux ouvriers en blouse, montés sur l’échafaudage : « Voulez-vous bien permettre à un étranger, qui s’intéresse à l’art, de voir où nous en sommes, dans nos travaux de Saint-François ? »

Partout on peut rencontrer, plus ou moins, ce souci des monumens anciens. Les Italiens connaissent très bien leurs richesses d’art. Ils les aiment mieux que nous n’aimons les nôtres. Il y a