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vivement. Elles sont bordées de palais, de superbes maisons construites pour les riches, — et qui n’ont pas toutes des locataires. Elles ont donc détruit des milliers de pauvres logemens, sans les remplacer. Là est le mal, là est la cause du trouble profond jeté par le risanamento dans ce monde de la misère et de la faim. Les malheureux, chassés de ces gîtes immondes, ne pourront pas payer le loyer, plus élevé, des logemens ouvriers qu’on a bâtis pour eux, d’autant moins qu’ils se trouveront transportés d’une extrémité de la ville à l’autre, exilés, privés de leurs quinze, ou vingt, ou cent cliens du même fondaco : toute leur fortune. C’est une crise terrible. « Et puis, ajoutait un de mes compagnons de route, dans les quartiers ouvriers, — vous en verrez un tout à l’heure, — les maisons sont toutes remplies d’artisans, de même que celles-ci seront un jour toutes remplies de bourgeois. Or, les anciens quartiers des villes, même ceux que vous venez de visiter, n’étaient pas habités par une seule classe de gens. Dans ces ruelles du Porto, derrière d’affreux murs noirs, vivent encore des industriels, des marchands de soie, de laine, de coton, des armateurs pour les pêcheries. Et ces voisinages anciens, qui profitaient aux pauvres, qui leur offraient les plus grandes chances d’être connus et secourus, vont se dissoudre, comme ailleurs. Voilà pourquoi Naples se plaint. » Et je pensai qu’en effet notre façon de bâtir les villes était d’une plus belle ordonnance et plus saine qu’autrefois, mais moins fraternelle aussi.

M. d’Auria nous quitta pour redescendre au Porto, et une partie de la bande seulement, en deux voitures, s’en alla vers les quartiers ouvriers. Je ne parlerai que de l’un d’eux, construit sur des terrains incultes et des jardins : Santa-Anna alle paludi, au-delà de la gare. L’aspect en est assez banal : des voies larges se coupant à angles droits, bordées de constructions monumentales carrées, un peu comme à Rome. J’observe seulement deux choses originales : des guirlandes de coloquintes aux devantures des boutiques, des régimes de tomates séchant le long des murs, les fritures en plein vent, l’odeur d’huile, les étalages de châles de ce rose vif que préfèrent les ragazze, tout un ensemble enfin transporté des quartiers bas jusqu’ici ; et les portes cochères de ces cités populaires. Comment a-t-il été possible de bâtir de pareilles maisons, avec de si belles entrées, pour des artisans napolitains, et quel loyer peuvent-ils bien payer ? Un de mes amis lève le marteau d’une des plus larges portes, appartenant à une sorte de palais à trois étages. Le concierge vient à nous, au milieu d’un vestibule dallé, très propre. En face de nous, un escalier carré, tout en granit. À gauche, une porte vitrée ouvrant sur une grande cour dont tous les côtés sont bâtis. Nous montons au deuxième étage, devant nous, afin