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Lacordaire. À eux deux ils « faisaient le numéro, » comme on dit en style de presse ; mais Lacordaire y écrivait bien plus souvent que Montalembert. Dans les seize premiers numéros du journal, sept fois l’article principal avait été fourni par lui. On chercherait vainement ces articles et les suivans dans les œuvres complètes du père Lacordaire. Les pieux éditeurs n’ont eu garde de les reproduire, effrayés sans doute des audaces que ces articles renferment. Pour moi, je ne connais rien qui lui fasse plus d’honneur que ces audaces, quand on songe à la bonne foi et à l’humilité avec laquelle il les a rétractées. Aussi, ne crains-je pas de faire tort à sa mémoire si j’en rapporte les principaux traits.

Tandis que, parmi les rédacteurs de l’Avenir, les uns traitaient de préférence les questions de politique étrangère et s’efforçaient d’intéresser les catholiques de France aux luttes de leurs frères combattant pour leur indépendance en Pologne, en Belgique, en Irlande, tandis que les autres soulevaient des questions de doctrine sur l’origine et la légitimité du pouvoir, ou bien dissertaient sur les destinées futures de la société humaine et sur la place qu’y tiendrait l’Église catholique, Lacordaire, tout entier à l’action et au combat, s’appliquait à relever le courage des catholiques, à les ramener en ligne, à les pénétrer du sentiment de leurs forces. Il n’admettait pas qu’on les traitât dédaigneusement en parti vaincu, ni surtout en sectateurs d’une foi surannée et destinée à disparaître comme avaient disparu les religions de l’antiquité. C’est ainsi que dans un article intitulé : le Mouvement d’ascension du catholicisme, il répondait fièrement à un article sur la décadence du catholicisme, publié par le Globe, l’ancien journal des doctrinaires, dont ils étaient personnellement sortis, mais où régnait encore leur esprit. Après avoir montré l’Église résistant à toutes les épreuves, non seulement à la persécution, à l’hérésie, au schisme, mais encore aux tentatives que les rois avaient faites pour l’asservir, Henri VIII en Angleterre, Louis XIV en France, Joseph II en Autriche, à ce qu’il appelait le ver rongeur de l’anglicanisme, du gallicanisme et du josephisme, il la montrait ensuite se développant par la liberté dans tous les pays où elle lui avait été accordée, et il donnait rendez-vous au Globe « à la cinquantième année du siècle, dont ils étaient les enfans, » s’en rapportant à l’avenir du soin de trancher le différend entre ceux qui prédisaient la décadence et ceux qui prédisaient l’ascension du catholicisme. Lorsque la cinquantième année du siècle arriva, le Globe manqua au rendez-vous, car il avait disparu depuis longtemps ; mais, à mesurer la place qu’occupent aujourd’hui dans le