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d’insister sur le fait que cette assimilation n’a pu s’opérer que parce que ces deux dollars d’argent sont chacun également convertibles en un dollar d’or : sinon le législateur américain eût été impuissant à les rendre égaux l’un à l’autre.

Malgré cela, et bien que toutes ces pièces et tous ces billets aient de par la loi une valeur égale, les publications officielles, les bilans des banques les distinguent soigneusement. Il y a plus. Les Chambres de compensation de certaines grandes cités américaines rejettent le dollar d’argent et ses signes représentatifs, quoiqu’ils soient monnaie légale. C’est là une des démonstrations les plus frappantes qu’il soit possible de donner de l’impuissance de la loi à constituer une monnaie avec autre chose qu’un poids certain d’un métal certain. Voilà des nationaux qui n’ont pas trouvé une garantie suffisante dans le fait que les dollars d’argent étaient déclarés par le Gouvernement du pays absolument identiques aux dollars d’or ! Cette déclaration a eu beau être renouvelée dans la loi rapportant la clause d’achat mensuel d’argent du bill Sherman ; ils ont cru nécessaire de donner une base unique à toutes leurs transactions ; et cette base a été le dollar d’or, c’est-à-dire 1 gramme, 6716 à neuf dixièmes de fin.

Si la clause du bill Sherman qui ordonnait l’achat mensuel de 4 millions et demi d’onces d’argent n’eût pas été rapportée par la Chambre des députés en août, puis par le Sénat des États-Unis en octobre 1893, et que la circulation américaine eût continué à se saturer d’argent, — ou, ce qui revient exactement au même, de papier émis en représentation d’argent, — la conduite des Chambres de compensation eût sans doute trouvé un grand nombre d’imitateurs. La crainte que le Gouvernement, malgré ses promesses, malgré sa bonne volonté, ne demeurât pas indéfiniment capable de payer tous ses engagemens, de rembourser tous ses billets en argent ou en or au choix des créanciers, c’est-à-dire pratiquement en or, se serait répandue de plus en plus : les particuliers, les corporations auraient de plus en plus éprouvé le besoin de stipuler la monnaie, c’est-à-dire le métal faisant l’objet de leurs conventions ; malgré la similitude du nom, chacun eût vite appris à distinguer un dollar d’or d’un dollar d’argent. N’y a-t-il pas là une sorte de démonstration pratique qu’un pays peut compter simultanément en deux monnaies différentes ?

Les États-Unis sont un des champs d’expérience les plus intéressans où il convienne d’étudier les différentes évolutions monétaires que les nations modernes sont susceptibles de traverser. Un certain nombre d’Américains ont même songé à adopter l’étalon d’argent pour se mettre en communication directe avec la