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que notre volonté ; contre cette volonté toutes sortes de puissances se liguent qui nous induisent au péché. À de certaines heures, du fond obscur de nous-mêmes un être se lève dont nous ne soupçonnions pas l’existence et qu’ensuite nous avons peine à reconnaître. C’est lui qui a déjoué notre surveillance. Ç’a été une faiblesse d’un instant. Maintenant la coupable a honte d’elle-même, elle se repent et elle te supplie. Elle te demande, à toi qui es une créature d’instinct, de ne pas être impitoyable pour ces surprises des sens auxquelles nul ne peut assurer que lui-même ne soit pas exposé, à toi qui es une créature d’un jour de ne pas prononcer ce mot : Jamais. Que si au surplus cette femme n’était pas la tienne, sa faute t’apparaîtrait sous un aspect tout à fait différent. Ne peux-tu donc sortir de toi-même et t’élever au-dessus des mesquines considérations de l’amour-propre ? N’oublieras-tu pas tes propres souffrances, ou plutôt n’y trouveras-tu pas un conseil de compatir à la souffrance d’autrui ? Dieu seul peut condamner. Use du droit qui appartient à la créature : pardonne !

« D’ailleurs, ce pardon auquel on t’exhorte, ce n’est pas un demi-pardon, une absolution louche et honteuse. Pardonne absolument et sans arrière-pensée. Pardonne de tout ton cœur, comme tu voudrais qu’il te fût pardonné, suivant les mots que tu prononces dans l’oraison dominicale. Que le passé soit aboli. Que la vie recommence entre vous telle qu’autrefois. Ainsi tu auras accompli ton devoir. Tu auras véritablement relevé celle qui était déchue ; tu l’auras fait rentrer dans l’ordre, tu l’auras restituée dans son rôle d’épouse et de mère. Toi-même tu te seras haussé à un degré de vertu qui n’est si rare que parce que les hommes font rarement le bien. Tu te seras montré dans l’épreuve généreux, charitable et grand… »

Tel est le langage qu’on pourrait tenir afin d’évangéliser les maris trompés.

Or, ce zèle serait-il profitable ou ne serait-ce pas un zèle qui s’égare ? Cette argumentation est-elle solide et résisterait-elle au contrôle des faits ? Qu’adviendrait-il dans la vie réelle de deux créatures de chair et de sang, s’il leur prenait fantaisie de s’appliquer les bienfaits d’une pareille théorie ? Le pardon, dans le drame de l’adultère, est-il possible ? S’impose-t-il comme un devoir ? Ou, sous les apparences du pardon, ce qui se cache ne serait-ce pas une des pires suggestions de la lâcheté ? — C’est ce que se sont demandé presque à la même heure deux écrivains d’origines et de tendances très différentes. L’Intrus de M. Gabriel d’Annunzio, et ce roman de M. Paul Margueritte, la Tourmente, que nos lecteurs n’ont pas oublié, ce ne sont que deux « cas » d’un même problème, et ce n’est que le même sujet présenté sous d’autres aspects.

M. Gabriel d’Annunzio est célèbre en Italie. Il a trente ans. Il débuta