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ou, d’un autre nom, les dvijas, les hommes dont la naissance naturelle se double de la renaissance religieuse que confère l’initiation. Exclus de cette sorte de sacrement, les Çoûdras n’ont point de part à la science et aux écritures sacrées, auxquelles il sert d’indispensable introduction, point de part directe aux sacrifices, ni à aucune des cérémonies qui sont destinées à sanctifier, dans ses phases diverses, la vie des castes supérieures. Tout au plus sont-ils admis à célébrer certains rites inférieurs ; par là seulement ils restent enveloppés, encore qu’à un degré très humble, dans l’organisation commune. L’initiation est la porte par où l’on entre dans la grande famille aryenne ; comme le dit expressément Manou, tant qu’il n’a point passé par cette seconde naissance, l’Arya lui-même n’est pas supérieur au Çoûdra. La division est donc essentielle. Elle est religieuse, non pas simplement sociale. Un mort des trois hautes castes, porté par un çoûdra, ne pourrait entrer au ciel. La formule la plus forte pour condamner certaines fautes chez les brahmanes, c’est de déclarer qu’elles font d’eux des çoûdras, c’est-à-dire des Outcats. Manou déclare que, pour le çoûdra, il n’y a pas de péché grave, pâtaka. Il n’y a pas en effet pour lui de fautes entraînant la déchéance : il n’a point d’accès à ces hauteurs d’où l’on peut tomber.

Une distinction si tranchée ne peut guère, à l’époque où nous transportent ces recherches, manquer de correspondre à une scission nationale. Nous ne saurions discerner si la population comprise sous la dénomination de çoûdras était uniquement composée de ces élémens aborigènes que rencontrèrent les Aryens en immigrant du Nord-Ouest dans l’Inde, ou si elle englobait des élémens mélangés. Le point est secondaire. D’Aryas à Çoûdras, il y a certainement à l’origine une opposition de race, qu’elle soit plus ou moins absolue. Le mélange inévitable entre vainqueurs et vaincus, entre envahisseurs et autochtones, a pu diminuer la distance et réduire l’antinomie ; il n’en a jamais effacé le souvenir.

Veut-on juger de l’excès d’hostilité et de mépris avec lequel le çoûdra était considéré ? Un texte met sur la même ligne le meurtre d’un çoûdra et la destruction d’un caméléon, d’un paon, d’une grenouille ; un brahmane novice a le droit de prendre sans plus de façon à un çoûdra ce dont il a besoin pour payer les honoraires de son maître ; les châtimens les plus terribles frappent le çoûdra qui, même dans les rapports extérieurs, ne garderait pas sa distance vis-à-vis d’un homme des trois castes âryennes.