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qu’il y pénètre bientôt. Il semble que la cour de Rome se fasse sur ce point des illusions, et que de faux renseignemens ou un excès d’imagination l’égarent sur le nombre[1] et la valeur des conversions au catholicisme.

Les « Unis » représentent en Orient les fidèles que Rome a détachés de l’orthodoxie et des églises séparées de l’orthodoxie. On comprend sous ce nom des Grecs, des Arméniens, des Chaldéens, des Coptes, des Syriens, des Géorgiens, des Serbes, des Valaques, des Bulgares et des Slaves, qui reconnaissent la suprématie du Pape moyennant certaines concessions relatives à leur liturgie et à leurs rites particuliers. Mais le nombre de ces Unis forme un bien petit groupe dans la masse de l’orthodoxie[2]. De plus, la plupart des conversions offrent un caractère exclusivement politique ; elles sont par conséquent, dans un pays comme l’Orient où la politique se transforme tous les jours, passagères comme cette politique même. Dans la conversion au catholicisme, les Unis trouvent, comme les Syriens par exemple, la protection française[3]. Les Bulgares y cherchaient le maintien de leur nationalité contre les prétentions de l’hellénisme et du patriarcat. Depuis que les Bulgares ont une église nationale, ils ne se convertissent plus au catholicisme et les Unis abandonnent en masse l’Église romaine[4]. Enfin, souvent, la Porte elle-même favorise ces conversions qui divisent et affaiblissent des populations qu’elle maintient mal ; c’est ainsi qu’elle réserve les places aux seuls Arméniens catholiques, au détriment des orthodoxes.

Le lien qui rattache les Unis à l’Église romaine est bien fragile et toujours prêt à se rompre : on l’a constaté chez les Chaldéens et les Arméniens[5] : on n’a pas oublié l’émotion récente soulevée chez les Ruthènes, à la nouvelle que Rome voulait modifier leur liturgie. Il ne faudrait pas fonder sur les Unis de solides espérances, ni surtout les considérer comme des précur-

  1. Je lis dans un livre récent (1893), dédié au cardinal Langénieux, que les Arméniens unis comptent plus d’un million de fidèles, quand, en réalité, ils ne sont pas cent mille. (La Question religieuse en Orient, p. 5.)
  2. Environ trois millions.
  3. De même, dans la conversion au protestantisme, les Arméniens ou les indigènes de Syrie recherchent la protection anglaise ou américaine. C’est toute l’importance, — considérable au point de vue politique, — qu’il faut attacher à ces conversions. Mais ces conversions sont locales, passagères, et ne représentent nullement une tendance de l’orthodoxie à passer au protestantisme.
  4. Il ne faut voir dans la récente réforme de la constitution bulgare qui autorise l’héritier présomptif à rester catholique qu’une simple précaution très légitime, que justifie le sort du premier prince bulgare.
  5. Au moment des querelles survenues il y a vingt ans entre Hassounistes et anti-Hassounistes. Les Arméniens catholiques ne reconnaissent d’ailleurs pas le Pape de la même manière que les catholiques, puisque entre le Pape et eux ils admettent encore un patriarche.