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seurs qui entraîneront un jour à leur suite l’Orient tout entier. Non, le gros des troupes orthodoxes, les Slaves et les Grecs, demeure irréductible ; ni la violence, ni les conciles, ni les missions ne les ont soumis, convaincus ou séduits ; nous avons essayé dans cette étude d’en dégager les causes, et ces causes semblent plus fortes que les armées, les argumens ou les séductions. La croyance à la Providence qui doit guider un pape dans sa mission divine peut prévaloir contre toutes les raisons humaines. Ce sont ces raisons humaines qui nous ont préoccupé et qui seules pouvaient préoccuper un laïque, elles sont du moins suffisantes pour permettre d’affirmer que l’heure n’a pas encore sonné de l’Union des deux Églises. Le différend profond qui les sépare repose sur une conception différente du dogme, du rôle de l’Église dans l’État, de sa mission sur la terre ; et avant qu’on ne songe à concilier le dogme, il faudra que les gouvernemens se modifient, que les peuples s’affranchissent ; et alors qui peut prévoir aujourd’hui quels seront les besoins spirituels de l’Orient transformé ?

Il était donc nécessaire de montrer les difficultés de l’entreprise, non point pour la combattre ni pour la condamner d’avance, mais plutôt pour la guider dans le bon chemin en dissipant les erreurs ou les illusions qui l’égarent. La vérité n’est jamais une ennemie, fût-elle déconcertante et cruelle. Dix siècles se sont écoulés depuis le schisme de Photius, et l’antagonisme des deux églises demeure immuable, sans qu’un pas ait été fait dans la voie de la conciliation. Est-ce une raison pour désespérer et pour consacrer par l’indifférence une œuvre de haine et de passion ? Non. Qu’est-ce, après tout, qu’une expérience de dix siècles en regard du mystère de l’avenir ? Que nous réservent ces cris de pitié qu’arrache de toutes parts à l’Europe inquiète le spectacle des misères et des souffrances ? Et quand d’autres siècles s’ajouteraient encore aux premiers sans que le rêve de l’Union se réalisât, il est bon qu’au milieu des discordes et des bassesses humaines s’élève quelquefois une voix pure et sereine, comme celle de Léon XIII, qui, du haut de la chaire du Christ, fasse entrevoir aux hommes le règne de la paix et de la bonté sur la terre.


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